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et réciproquement ; sans parler des questions philosophiques plus ou moins engagées dans le débat, telles que celle du libre arbitre ou de la responsabilité ; enfin et surtout la question du dédoublement du moi, qui est le dernier des faits psychophysiologiques que nous ayons à signaler.

Déjà le fait seul du sommeil peut suggérer l’idée de deux personnes distinctes ; car à coup sûr nous ne sommes pas le même dans le sommeil et dans la veille. Cependant, dans le sommeil, on se souvient de la veille, et dans la veille on peut se souvenir du sommeil. Il y a donc une liaison réelle de l’un de ces états à l’autre. Dans le somnambulisme naturel, il y a à la fois plus et moins d’analogie avec la veille En un sens, cet état ressemble plus à la veille ; car, tandis que, dans le sommeil naturel, le rêve est absolument incohérent, le somnambule, au contraire, joue ses rêves, c’est-à-dire exécute un ensemble de mouvemens coordonnés ayant un commencement, un milieu et une fin, enfin une certaine cohérence. D’autre part, le somnambulisme est plus séparé de la veille, en ce que l’homme éveillé perd absolument la mémoire de ce qu’a fait l’homme endormi, tandis que le somnambule peut se souvenir de ce qu’il a fait dans son sommeil antérieur. Il y a donc, en quelque sorte, deux vies, et l’hypothèse rêvée par Pascal se trouve bien près d’être réalisée. « Si nous rêvions toutes les nuits la même chose, elle nous affecterait autant que les objets que nous voyons tous les jours ; et si un artisan était sûr de rêver toutes les nuits, douze heures durant, qu’il est roi, je crois qu’il serait presque aussi heureux qu’un roi qui rêverait douze heures durant qu’il serait artisan. » Pascal ne parle ici que de rêve ; mais il ne faut pas oublier que le somnambulisme se compose à la fois de rêve et de réalité. Le somnambule, en effet accomplit des actions qui se passent dans le monde réel : il marche il écrit, il peut faire presque tout ce qu’il fait dans la veille il peut même parler et répondre. Dès lors, nous n’avons plus qu’à nous représenter le somnambulisme gagnant de plus en plus du côté de la veille, entreprenant sur elle, et finissant par devenir une seconde veille succédant alternativement avec la première ; et ne conservant du somnambulisme qu’une seule chose, à savoir la perte de la mémoire au réveil. Vous aurez le cas de Félida, le célèbre sujet sur lequel on a observé pour la première fois, d’une manière tout à fait frappante, ce fait du dédoublement du moi. Cette personne, qui, je crois, vit encore, a deux existences successives et alternatives ; dans chacune d’elles, elle a un caractère différent, des suites d’idées différentes ; mais surtout il reste ce fait caractéristique, c’est que, dans cette partie de la vie qui correspond à l’ancien état normal (car on ne saisit plus guère de différence entre les deux états),