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L’ivresse, bien plus que L’amour, avait armé le bras de Kaméhaméha IV, et le crime était à peine commis que cette nature, mobile et impressionnable à l’excès, s’abandonnait à toute la violence de ses remords. La blessure de Nelson n’était pas mortelle ; mais sa constitution, épuisée par les excès, d’une jeunesse orageuse, n’y put résister. Il languit, quelques semaines et mourut.

Dans l’impétuosité de ses regrets, La roi n’avait qu’une pensée : revenir à Honolulu, abdiquer en faveur de son fils et consacrer le reste de ses jours à l’expiation de son crime. Il revint, en effet, le 30 et annonça son projet à ses conseillers. Ceux-ci le firent renoncer à cette détermination ; mais agité de sombres pressentimens, il tint bon quant à la proclamation, du prince de Havaï comme héritier du trône. Reprenant ensuite l’idée de son ancêtre, il écrivit en Angleterre pour solliciter de nouveau l’établissement d’une branche de l’église réformée d’Angleterre, l’envoi d’un évêque et d’un clergé anglican. Sa nature ardente s’accommodait mal des formes austères du culte méthodiste ; d’autre part, élevé dans le culte protestant, il répugnait à l’adoption du catholicisme. La reine, anglicane elle-même, souhaitait vivement l’établissement d’une église avec laquelle elle fût en parfaite communion d’idées. Tous deux enfin désiraient surtout pouvoir confier à l’évêque dont ils sollicitaient l’envoi l’éducation du jeune prince. Kaméhaméha IV appuyait sa demande de l’offre d’un terrain pour l’érection d’une église et d’une souscription annuelle assez considérable pour défrayer en grande partie les dépenses du nouveau clergé. Cette demande fut bien accueillie en Angleterre ; mais le jeune prince de Havaï succombait à une courte maladie la veille même du jour où débarquait la mission anglicane. Ce dernier coup hâta la fin du roi. Miné par ses excès autant que par ses remords, voyant dans la mort de son fils, un avertissement pour lui-même, il languit quelque temps encore et s’éteignit le 30 novembre 1863.

Son frère lui succéda sous le nom de Kaméhaméha V. Énergique et résolu, il reprit d’une main vigoureuse la direction des affaires que sort prédécesseur avait abandonnée pendant les dernières années de son règne. Justement préoccupé de la propagande active des Américains en faveur d’une annexion aux États-Unis, de la décroissance rapide de la population étrangère, il se posa en défenseur de l’autonomie indigène, modifia dans un sens plus monarchique la constitution octroyée par Kaméhaméha III et appela, dans son conseil des hommes décidés, comme lui, à s’opposer, de toute tentative annexioniste.

Le peuplement rapide et les progrès de la Californie avaient eu leur contre-coup aux îles Havaï. Brusquement tiré de sa torpeur par la découverte des mines d’or sur les rives du Pacifique, dont