Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/619

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

train qui amenait d’Italie le malade, l’empereur régnant. Celui-là aussi disparaissait comme une ombre, sous la tente drapée de noir, à peine entrevu de ses sujets, escorté de sa garde à lui, les médecins. Il voulut aller rejoindre son père au Dôme. Les médecins s’y opposèrent, jugeant que l’air glacial de son empire pouvait le tuer, craignant peut-être que le père n’appelât le fils. Il se soumit. Un équipage l’emporta vers ce triste Charlottenbourg, sépulture des Hobenzollern.


III

Guillaume Ier est couché sous le Dôme, au fond de la salle nue et froide ou prient les luthériens de Prusse. Dans ce temple vide, il n’y a que le mort et Dieu. A moins que ce ne soient des hommes, ces quatre statues au regard fixe, aussi rigides sous leurs armures, aussi immobiles que celui sur qui elles veillent. Supposons, par impossible, un étranger ignorant toute l’histoire de notre temps : il visite le monument, lève ce manteau militaire, et demande quel est l’officier qui dort là, dans l’uniforme du 1er régiment des grenadiers de la garde. Supposons, par impossible encore, qu’un de ces plantons ouvre la bouche, qu’il réponde et répète tout simplement ce que son maître d’école lui a appris sur la vie de son empereur. Le visiteur ignorant sourirait à ces imaginations, il croirait que le sergent lui récite quelque fabliau merveilleux de la vieille Allemagne. Car le réel d’aujourd’hui sera le merveilleux de demain ; il trouvera les âges futurs admiratifs et incrédules, comme nous le sommes pour ce qui fut le réel des vieux âges ; mais nous ne savons pas voir le moment du rêve où le sort nous fait vivre ; l’accoutumance et l’usure de chaque jour aveuglent notre regard intérieur.

Ce que le soldat dirait à cet étranger, on l’a raconté à satiété depuis une semaine. L’histoire de Guillaume Ier a été résumée dans tous les journaux, détaillée dans des livres qui sont entre toutes les mains[1]. Nous n’aurions rien à y ajouter ; et, s’il le fallait, en trouverions-nous la force ? A s’appesantir sur certaines pages, les plus nécessaires, la main tremblerait vite et l’œil ne verrait plus avec netteté. Quelques mots suffiront pour rappeler les extrémités de cette longue vie, avant qu’on essaie de la juger.

  1. voir, en particulier, la plus récente et la plus équitable des grandes publications sur ce sujet, l’Empereur Guillaume et son règne, par M. Edouard Simon ; Paris, 1887.