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l’aristocratie indigène s’est tenue en général à l’écart de la science. Ce qui lui aurait fait défaut, à cette aristocratie, c’est le stimulant d’un désir non satisfait. Le prince autochtone s’est formé un idéal de civilisation qui lui suffit. Son horizon ne s’étend pas au-delà de sa cour. Son administration revêt un caractère pratique ; elle se borne à donner satisfaction aux besoins de ses sujets tels qu’ils sont, mais qui diffèrent absolument des besoins que le progrès ; impose aux peuples d’Occident. Les jouissances dont ses ancêtres se montraient contens lui suffisent, et, dans sa poésie nationale, il trouve amplement de quoi donner carrière à ses goûts littéraires. Quant au noble indou, il n’est, — mais en petit, — qu’un autre prince indigène. S’il a une fortune qui lui permette de satisfaire ses passions favorites, il ne voit pas pourquoi il travaillerait en prévision d’une jouissance imaginaire. Ses ressources sont-elles médiocres ? il ne lui viendra jamais à l’idée de supposer que des livres pourront lui tenir lieu de ce qui lui manque. Dès son enfance, tout conspire autour de lui pour lui faire rejeter l’éducation à l’arrière-plan. L’influence de la femme sur ses sens s’oppose à tout développement intellectuel. Le mariage conclu dès un âge trop tendre met aussi des entraves à son ambition et le détourne d’un but sérieux à atteindre. La coutume de passer l’existence à de grandes distances des centres de population ne lui permet jamais d’attacher sa pensée aux questions d’intérêt général. Dans certains cas, l’instinct héréditaire le pousse à considérer l’éducation comme une marque de déchéance ; dans d’autres cas, il se laisserait instruire s’il n’avait pas à courir les chances de contamination sociale dont notre éducation libérale est inséparable. L’ancienne noblesse française ne pensait pas différemment. Le rapporteur se plaint aussi de ce que l’on n’ait pas trouvé moyen d’attirer les hautes classes indigènes vers le genre d’éducation qui est propre aux Anglais. « Sans doute, dit-il, des dispositions ont été prises pour veiller à l’éducation des mineurs placés sous la tutelle des districts courts ou courts of wards. Pour diverses causes, toutefois, ces tentatives n’ont pas donné de grands résultats, et il n’y a guère probabilité qu’avant longtemps encore les classes titrées prennent l’habitude d’autoriser leurs fils à frayer avec les élèves de nos écoles et de nos collèges. »

On a songé à créer des collèges spéciaux pour cette noblesse rebelle aux études. Le premier fut ouvert à Indore, en 1875. On y voyait des fils de maharadjahs, et même des princes héritiers présomptifs. Au début, c’est à peine si ces jeunes gens se donnaient le souci d’apprendre l’anglais ; rebelles aux exercices du corps, ils dédaignaient l’équitation, et tous ces jeux violens où nos voisins