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confédérations ; ailleurs, une tribu faible entre dans le vasselage d’une tribu forte et guerrière. De lieu en lieu, on trouve dans le Maroc, à l’état embryonnaire, toutes les formes de gouvernement que les hommes ont inventées ; mais de quelque façon que les tribus marocaines se gouvernent, une habitude leur est commune : partout on s’y fait la guerre à feu et à sang. Les sédentaires se battent avec les sédentaires pour des questions d’eaux et de canaux ; les nomades se battent avec des nomades pour venger les injures de leurs protégés, de leurs cliens ; sédentaires et nomades s’entre-battent les uns pour garder ce qu’ils ont, les autres pour le leur prendre : « Je n’ai pas été dans une seule région au sud de l’Atlas, nous dit M. de Foucauld, sans y trouver pour une de ces trois causes la guerre, soit intestine, soit avec des voisins. »

Dans ce grand empire désagrégé, où l’autorité se fractionne à l’infini, où d’endroit en endroit les institutions varient, il n’y a pas d’autre principe d’unité que Mahomet et le Coran. Mais le Prophète a donné au monde la moins sacerdotale de toutes les religions ; il reconnaît à tout Adèle le droit de traiter directement ses affaires avec Allah ; il a imposé à son peuple une règle de foi, il n’a pas fondé une église selon la force du mot. Arabe ou Berbère, chaque musulman appartient à un groupe, qui n’est à ses yeux qu’une grande famille, et en religion comme en politique, chacune de ces familles fait ses affaires à part. De même que la tribu tient lieu d’état, on remplace l’église par la confrérie, association volontaire où l’on entre pour se livrer ensembles de certaines pratiques sous le patronage du même saint. Le sultan Mulei-Hassen se croit le maître du Maroc ; il se croit aussi le grand iman, le pape de tous les musulmans malékites, et il se flatte d’étendre sa juridiction spirituelle non-seulement sur Fez et Marakech, mais sur les oasis du Sahara, comme sur Alger, Tunis et Tripoli. C’est encore une de ces illusions qui contribuent à son bonheur, mais dont la vanité lui est démontrée chaque jour.

On a souvent représenté le Maroc comme le plus fanatique des pays de l’islam. M. de Foucauld en juge autrement ; il a constaté que, si les Marocains ferment leur porte aux Européens, c’est plus par crainte de l’espion que par horreur pour l’infidèle, et qu’ils redoutent le conquérant plus qu’ils ne haïssent le chrétien. Sans doute, les hadj ou musulmans qui ont fait le pèlerinage de la Mecque abondent au Maroc ; mais contrairement à l’opinion commune, le hadj est plus tolérant que ceux de ses coreligionnaires qui sont restés chez BUS et n’ont jamais baisé la pierre noire : il a vu des bateaux à vapeur, des locomotives, Alexandrie, Tunis, Alger, des villes embellies, transformées par les chrétiens, et il a laissé en chemin quelques-uns de ses préjugés. Les voyages ouvrent l’esprit, le pèlerinage à la Mecque élargit les cœurs étroits.