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étant catholique, persécuterait les protestans. Jacques III avait répondu : « La fidélité que je garde à mon Dieu peut faire voir quelle fidélité je garderais à mon peuple, si j’avais juré de respecter ses lois et ses croyances. Ce que les Anglais me demandent, je le demande aux Anglais : la tolérance. » Mais le gouvernement avait grand soin que ce noble langage ne parvînt pas à son adresse. Aux gens de commerce et de finance, on assurait que, si le chevalier de Saint-George montait sur le trône, la banque d’Angleterre serait désavouée, que la dette publique, démesurément grossie sous Guillaume et sous Anne, ne serait pas reconnue. Avec le peuple, on employait d’autres moyens. On lui contait que le prétendant était un enfant supposé. C’était, disait-on, le fils d’un meunier, et le confesseur de la reine, Petre, l’avait lui-même introduit dans le lit de son auguste pénitente au moyen d’une bassinoire. Aussi, dans les caricatures du temps, l’enfant est-il représenté tenant à la main, en guise de hochet, un petit moulin à vent qui rappelle l’origine paternelle. J’ai vu le moulin et la bassinoire, j’ai tenu dans mes mains une de ces grossières gravures, sur les marges de laquelle les doigts des portefaix et des laquais de l’an 1700 avaient imprimé leur trace.

Hé bien! malgré toutes ces fables, en 1710, reine, clergé, gentry, peuple, toute la nation, excepté quelques nobles et la classe commerçante, était favorable au retour des Stuarts. Sans les divisions d’Oxford et de Bolingbroke, sans la mort subite d’Anne, enfin si Queensbury, — un de ces médiocres auxquels le caprice du hasard donne parfois un rôle décisif dans les grandes crises politiques, — n’avait paru inopinément dans la salle du conseil, traînant derrière lui ses deux compères, l’ordre de succession était changé, et la fameuse révolution, annulée par une autre, tombait au rang des simples accidens historiques.

La haute valeur personnelle de Guillaume III est peut-être ce qui a égaré l’histoire sur l’événement dont il a été le héros. D’ordinaire on juge l’homme d’après l’œuvre; cette fois, on a jugé l’œuvre d’après l’homme, et ainsi on ne s’est trompé qu’à demi, car Guillaume était, en effet, capable de concevoir le vaste système politique que l’on rattache à la révolution de 1688. Mais il était le seul, ou à peu près, dans son royaume, qui en fût capable. Il y avait alors des whigs, qui tenaient pour l’omnipotence parlementaire contre la prérogative royale, des tories qui combattaient pour l’aristocratie foncière et l’église établie : il n’y avait, en Angleterre, qu’un seul libéral, et ce libéral était le roi. Il voulait organiser la liberté, proclamer la tolérance, non-seulement pour les dissidens, qui l’avaient porté au trône, mais pour les catholiques, qui l’avaient combattu ; on ne l’écouta point, on ne le comprit pas.