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Quelque chose de ces utopies constitutionnelles passa dans les déductions majestueuses de Locke, dans le plaidoyer passionné de Burnet, dans les rêveries, parfois sublimes, de Daniel De Foë, et de tous ces élémens on a fabriqué la légende de 1688. Et le bill des droits? Et le Toleration Act? Et l’Act of Settlement? Qu’en faites-vous? me demandera-t-on. Ce qu’en firent les contemporains : de vieux papiers, une lettre morte. Le peu qu’en laissa subsister le parlement tory de 1710, le parlement whig de 1714 acheva de le détruire. Des lois plus sévères que jamais frappèrent les catholiques, et quant aux ministres dissidens, après un demi-siècle de paix religieuse, ils suppliaient en vain Walpole d’adoucir pour eux les rigueurs du Test. « Le temps n’est pas venu, répondait Walpole de sa voix la plus caressante. Les ministres insistaient : « Mais ce temps, quand viendra-t-il? — Vous tenez à le savoir?.. Hé bien!.. jamais!.. » Pour retrouver la tolérance comprise et pratiquée comme l’avait rêvée Guillaume, savez-vous jusqu’où il faut aller? M. Lecky vous répond : jusqu’à lord John Russell et jusqu’à la génération de 1832.

Peut-être y a-t-il plus de différence, au point de vue de l’autorité personnelle, entre Guillaume III et la reine Victoria qu’entre Louis XIV et M. Carnot. La reine Victoria a un conseil des ministres qui délibère hors de sa présence. Le chef de ce conseil, en qui s’incarne la politique ministérielle, maintient dans le cabinet l’unité de vues, en chassant successivement les collègues qui ont cessé de penser comme lui. En fait, sinon en droit, il peut dissoudre le parlement, et le parlement, à son tour, peut le renverser. La reine est censée désigner son successeur; mais ce choix est une formalité dérisoire, puisqu’il ne peut se porter que sur une seule personne, et qu’il est guidé, — c’est l’usage nouveau qui s’est introduit depuis quarante ou cinquante ans, — par le ministre qui sort du pouvoir. La reine a un conseil privé, qui ne se réunit jamais. Le titre de Pricy Councillor est une dignité toute platonique ; elle confère à celui qui en est revêtu le titre de « Très Honorable, » qui flatte l’oreille dans les débats parlementaires. La reine jouit d’une immense influence, mais cette influence est toute morale, sentimentale, mondaine, officieuse : c’est l’influence que doit posséder la plus grande dame du pays auprès d’un gouvernement qui, jusqu’ici et malgré tout, est encore aristocratique.

Guillaume III choisissait ses ministres indistinctement dans les différens partis, en tenant compte, néanmoins, de certaines personnalités qui s’imposaient. Les départemens ministériels étaient isolés les uns des autres, chaque ministre étant responsable de ses actes et devant le parlement et devant le roi. Le ministère n’était point une entité politique, un corps organisé et vivant, ayant une