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simples soldats pour leur faire trouver tous les chemins sur le territoire envahi ! En rendant hommage aux qualités morales développées par une bonne discipline dans l’armée allemande, nous devons également nous garder d’exagération, pour rester dans la mesure juste. Dans son livre sur l’Armée française en 1870, le général Trochu fait un grand éloge « des armées auxquelles une éducation perfectionnée a enseigné tous les respects. » Ces armées « sont remarquables par leur cohésion, et elles ont des principes de discipline et des habitudes de bon ordre assez solides pour survivre à tous les relâchemens inévitables de la guerre. Nous avons appris à nos dépens de quel poids accablant ces principes et ces habitudes d’un ennemi, grâce à eux toujours prêt, pèsent sur les armées décousues qui ne les ont pas. » L’éloge décerné à l’armée prussienne pendant la dernière guerre de France est mérité, et aucun juge impartial n’y contredira. Toutefois, et malgré l’école obligatoire pour tous en Allemagne, M. Hœnig constate l’existence de grandes inégalités d’éducation parmi les conscrits allemands appelés sous les drapeaux. Les villes manufacturières en particulier fournissent de mauvais contingens. « Au recrutement des villes industrielles, l’ivrognerie, l’immoralité, le vol, les rixes, reparaissent toujours… Ajoutez le faible respect de la loi, de l’ordre et de l’autorité dans lequel ont grandi la plupart des gens des villes d’industrie… Abandon de la garnison, absence du quartier, inexactitude et manque de fidélité sont choses habituelles dans cette classe. Le sentiment de l’honneur, sans lequel l’éducation n’est nulle part possible, s’est desséché dans l’atmosphère empestée des fabriques, comme la plante qui dépérit sous ses précipitations. » Avec ces élémens, le socialisme révolutionnaire entre dans l’armée et présente dès maintenant de sérieux dangers.

Darwin, dans ses études sur la Descendante de l’homme, considère « la supériorité que des soldats disciplinés manifestent sur des troupes sans discipline comme un effet de la confiance que chacun met dans ses camarades. » Cette appréciation est juste, car la discipline, en développant au sein de l’armée le sens du devoir, permet à tous les combattans, engagés dans la lutte pour la victoire, de compter sur l’appui de leurs voisins. Des hommes qui se sentent les coudes se trouvent toujours plus forts que quand ils sont exposés au danger isolément, sans se savoir soutenus. Un héros brave le danger sans souci d’être appuyé, sans crainte des ennemis plus puissans ; il va de l’avant, impassible sous tous les coups, intrépide jusqu’à la témérité. Mais l’héroïsme, qui est la vertu poussée à l’extrême, au mépris de la vie, dépasse la capacité moyenne. Vouloir le demander à tout le monde, c’est s’exposer à