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politique serait exclue de l’armée, si l’état mental de l’armée ne reflétait pas l’esprit du peuple dont elle sort. La division des partis affaiblit partout et toujours. En Allemagne, l’absence des compétitions dynastiques et l’homogénéité du corps d’officiers favorise la concorde au grand avantage de la puissance militaire. Par la constitution de l’unité nationale et sous l’effet d’une législation militaire commune à tout l’empire, les rivalités d’autrefois entre les différens pays allemands ont disparu.

Plus une armée sera nombreuse, plus sa discipline devra être parfaite pour faciliter le commandement. Avec le principe du peuple en armes, des masses de troupes prodigieuses vont se trouver en présence. Les guerres des derniers siècles ne donnent pas l’idée des chocs terribles qu’entraîneront des conflits futurs dans l’Europe centrale. Les difficultés qu’on aura pour conduire et approvisionner les immenses armées sur pied en France, en Allemagne et en Russie, confondent l’imagination. Sur le pied de guerre, des millions d’hommes seront debout sous les drapeaux. Un seul corps, avec son effectif normal de 30,000 combattans, en mouvement sur une route ordinaire, occupe une longueur de 24 kilomètres. Si tous les bagages du corps d’armée suivent immédiatement, avec les approvisionnemens et les munitions, avec le service des ponts et le service des ambulances, la longueur de la colonne atteindra 50 kilomètres. Dans ces conditions, l’extrémité du train des équipages se trouve éloignée de deux journées de marche de la tête du corps. Lors de la guerre de 1866, une seule des colonnes autrichiennes, que le feldzeugmeister Benedeck conduisit de Moravie en Bohême, avait une longueur de 118 kilomètres, soit la distance de Strasbourg à Mulhouse, mesurée en ligne droite, pour trois corps d’armée et une division de cavalerie, ensemble 90,000 combattans. Toute l’armée allemande actuelle devrait-elle se mettre en mouvement sur une chaussée unique, avec ses réserves et le train au complet, elle occuperait toute la largeur de l’empire. Vous verriez les têtes de colonnes arriver par Mayence à Strasbourg, que l’arrière-garde commencerait seulement de sortir de Memel, sur la frontière de Russie. Plus de quinze jours seraient nécessaires pour faire défiler cette troupe formidable d’une manière continue, sans interruption, à travers l’avenue des Tilleuls, devant le palais impérial à Berlin. En 1870, les seize corps d’armée allemands, qui se réunirent sur le Rhin, couvrirent 120 milles carrés d’un pays fertile. Pour assembler les forces militaires actuelles de l’empire, il faudrait plus de 200 milles carrés, environ 1,200,000 hectares, à peu de chose près la superficie de l’Alsace-Lorraine tout entière ! Quelles difficultés présentent l’approvisionnement et le ravitaillement de