Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/885

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la difficulté, qu’Hérodote n’a sans doute pas aperçue, car il vante la sagesse de cette législation.

L’aveugle de Lazarillo était, à tout prendre, un honnête coquin, malgré son petit trafic d’oraisons, qui ne nous choque que parce que la foi s’en va. Il volait en douceur, et n’était affilié à aucune de ces corporations de malfaiteurs et de vagabonds dont l’Europe était alors couverte, et qui, bien longtemps avant nos grandes compagnies industrielles et commerciales, avaient deviné la fécondité du principe de l’association. Les anciens truands avaient formé de véritables sociétés, possédant leurs chefs, leurs correspondans, leurs règlemens et quelquefois leurs registres, leurs maîtres ès friponneries et leurs élèves, astreints à un certain temps de noviciat. Les fonctions de chef exigeaient des génies vastes et souples, joints à une grande connaissance des hommes. C’était le chef qui centralisait les renseignemens, distribuait les rôles et partageait le butin ; lui qui maintenait la discipline et accommodait les différends ; lui qui examinait les postulans et jugeait de leurs aptitudes ; lui qui veillait à acquérir des amis parmi les gens de police et de justice ; lui qui soudoyait le bourreau chargé de faire chanter un camarade. Le seigneur Monipodio, chef des voleurs de Séville, qui engageait ses associés, par dévotion, à s’abstenir de voler le vendredi, n’est pas un héros de pure invention.

Les picaros de la classe des fulleros, dont la spécialité était de tricher au jeu, avaient des compères dans toutes les villes d’Espagne et jusque dans les villages. Ceux qui savaient lire en portaient la liste sur eux. Ils avaient de plus, dans tous les centres importans, des correspondantes choisies parmi les femmes de mœurs légères, qui les avertissaient des coups à faire et leur signalaient les pigeons à plumer.

Les bélistres de France, qui florissaient sous François Ier et Henri II, avaient un roi appelé coesre, et étaient divisés en provinces gouvernées par des archisuppôts. L’association subsista jusque sous Louis XIV. Elle fut détruite à la dispersion des 40,000 gueux que Paris logeait alors dans ses onze cours des miracles.

Un dominicain de Viterbe, qui écrivait au commencement du XVIIe siècle, auteur d’un petit livre intitulé Il Vagabondo[1], rangeait les rôdeurs italiens en trente-quatre catégories. Sa liste témoigne une fois de plus de la richesse d’imagination de la race italienne. A côté de types qui seront éternels, comme le faux quêteur et le faux perclus, on y rencontre des figures d’une originalité pleine de saveur. Ainsi les testateurs, dont l’idée ne put venir qu’à un

  1. Il Vagabonda overo sferza de Bianti e Vagabondi, par Rafaele Frianoro. Venise, 1627.