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inférieures, » comme dans les facéties et récits comiques du moyen âge. Cette disposition d’esprit, à la fois tristesse et gaîté, qui naît du contraste de nos aspirations et de nos faiblesses, et des démentis que la chair donne à l’esprit, M. Janssen la rattache au christianisme, qui a éclairé pour la première fois l’âme humaine « sur ses grandeurs et ses imperfections. » D’après lui, l’humour est étranger aux âges d’incrédulité comme à ceux d’étroite et sombre bigoterie, théorie neuve, ingénieuse, qu’il ne faudrait pourtant pas serrer de trop près ; car la mélancolie souriante, le désenchantement du songe dans les misères de la réalité, existent depuis le jour où les hommes ont eu le loisir de rêver des perfections et des félicités qu’ils ne peuvent atteindre. Le christianisme, qui a fait le rêve démesuré, a rendu par là l’écart plus sensible, la disproportion plus frappante. Mais il y a trace d’humour dans l’ironie socratique, dans la comédie aristophanesque ; comme aussi un Sterne n’est point allé puiser ses inspirations dans la foi. M. Janssen attribue à l’humour du moyen âge une mission sociale ; il « monte la garde » autour des choses saintes ; il s’étale sous forme de figures grotesques sur les piliers des cathédrales, sur la stalle du chanoine, sur le lutrin, sur l’autel même ; il raille chez les hommes d’église l’orgueil, la mollesse, le goût des biens de la terre, et comme le fou au pied du trône, il tient devant leurs faces réjouies son miroir bombé. Dans les célèbres vignettes d’Albert Dürer, qui encadrent le livre d’heures de Maximilien, des singes se poursuivent, se visent à coups de flèche dans le bas du dos ; un médecin maigre et ratatiné contemple avec de grosses lunettes l’urinoir d’un malade, et rappelle ainsi au plus grand prince qu’il n’est pas un corps glorieux. « Ces railleries, ajoute M. Janssen, devinrent seulement dangereuses lorsque, le principe d’autorité venant à s’ébranler, la conduite de Dieu sur son église étant niée, l’humour se débarrasse d’un frein salutaire. » Mais ne voit-on pas poindre dans cette ironie satirique l’esprit de contradiction et de négation qui se déchaîne au XVIe siècle, le siècle de la satire en Allemagne avec Hutten, Murner, Fischart, Hans Sachs, et d’où est sortie la réforme ? L’église, qui en pressentait l’action redoutable, s’efforçait, en le tolérant, de le contenir et de le régler.

L’art est partout, à cette époque romantique ; il embellit tout, costumes aux couleurs voyantes, villes aux rues peintes, qui étalent aux yeux du passant leurs chroniques illustrées, maisons gothiques, meubles et ustensiles de ménage : « l’art était sorti du métier comme la fleur délicate sort de sa tige ; il exerçait une influence souveraine sur le tronc qui l’avait porté. Son union vivante et perpétuelle avec lui était sensible dans les moindres travaux des artisans. » Il se manifestait encore dans les danses pittoresques et les