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aidé par l’ami commun qui fait office de président, souhaite que cette vérité jaillisse des débats : « Non, l’accusée n’est pas coupable ! » Et nous-mêmes, dans le prétoire, nous suivons avec ardeur le récit de Tékly, les observations de Maurillac, le résumé de Faverolles. Nous avons deviné, ayant vu certaine traîtresse tendre le piège, comment Tékly est tombé dans son erreur, comment il a dû croire que Dora l’avait dénoncé à la police autrichienne. Mais Tékly, Faverolles, Maurillac parviendront-ils à connaître cette machination ? Nous accompagnons de nos vœux le progrès de leur loyale recherche. Et nous admirons surtout la providence qui se tient au-dessus de ce tribunal, et dont ces hommes sont les instrumens ; elle a réglé leur jeu avec une science infinie, elle les dirige avec une sûreté, elle les pousse avec une force, avec une promptitude qu’il faut bien reconnaître encore aux dieux du théâtre : moins respectueux que Bossuet, nous adorons cependant les desseins de M. Sardou.

On ne vantait pas le quatrième acte à l’égal du troisième ; faisons-lui réparation. Il commence par l’emploi de petits moyens, mais il aboutit à une scène qui en est le prix, et ce prix est magnifique. A la scène des trois hommes, je serais tenté de préférer celle-ci : composée avec autant d’art, elle contient plus d’humanité. Arrivés à ce point, ne regardons pas par quelle fragile échelle nous y sommes venus ; encore serait-il juste d’avouer qu’elle est élégante, cette échelle, et facile à gravir. Abusé, à son tour, par un nouveau manège de la traîtresse, Maurillac soupçonne sa femme, sa bien-aimée, de lui avoir volé aujourd’hui même, le jour de leur mariage, un document diplomatique, et de l’avoir vendu à un agent secret de l’étranger ; quelle soirée de noces !


Rodrigue, qui l’eût cru… Chimène, qui l’eût dit…
Que notre heur fût si proche, et sitôt se perdit !


Mais Rodrigue ne se lamente pas : il interroge anxieusement ; et elle, innocente, comprend à peine ce qu’il veut dire. « Le papier ! » réclame-t-il. « Le ? .. » reprend-elle avec un froncement de sourcils qui est le plus naturel du monde, celui d’une femme étonnée, qui pense avoir mal entendu. Furieusement, il s’explique ; alors, elle s’indigne. Il la saisit dans ses bras, il presse de ses deux mains cette jeune tête, comme pour faire sortir de la bouche l’horrible aveu. Mais au toucher de ces cheveux, à l’approche de ces lèvres, il est envahi par le désir, il perd la raison : « Eh bien ! oui, tu es coupable, et je te pardonne ! .. Je t’aime ! .. » Loin de se rassurer et de se calmer sous la caresse, Dora se cabre avec une fougue plus énergique et plus généreuse encore ;