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rapporter la Belle au Bois-Dormant, de M. Octave Feuillet, et ce roman de M. Cherbuliez : l’Idée de Jean Têterol, — sans compter la comédie de M. Legouvé, Par droit de conquête, et ce roman de M. Theuriet : le Fils Maugars. — Aussi bien, de nos jours, la question d’argent s’est-elle introduite au théâtre : il est naturel que les Capulets, ces aristos, soient ruinés, et que les nouveaux Montaigus, ces bourgeois, soient enrichis. Pour donner plus de ressort au drame, il n’est pas mauvais que ceux-ci aient contribué à la déconfiture de ceux-là : Voyez la Belle au Bois-Dormant et l’Idée de Jean Têterol ! Mais si le marquis de Capulet a de ses propres mains aidé à sa ruine, s’il est un vieil inventeur chimérique et un vieil enfant gâté par son admirable fille, alors, en face de lui, au lieu de Jean Têterol, nous aurons Maître Guérin : n’offre-t-il pas, ce marquis, le même cas de monomanie que M. Desroncerets, — qui lui-même, pour le dire en passant, n’est qu’un frère puîné de Balthazar Claës, le héros de la Recherche de l’absolu ? .. Et voilà que Balzac, par l’office de M. Augier, donne la main à Shakspeare ! — Aucun de ces maîtres n’a considéré qu’un sujet si avantageux appartînt en propre à l’un de ses devanciers : va-t-on reprocher à M. Georges Ohnet de l’avoir traité à son tour ? Il l’a combiné, d’ailleurs, avec un élément nouveau : à l’action amoureuse il a mêlé une action judiciaire, et si étroitement, que les deux n’en forment qu’une seule ; et comment ? Par un artifice le plus simple du monde. Le frère de sa Juliette est faussement accusé d’un crime (personne encore n’a eu le front d’énumérer, pour taxer M. Ohnet de plagiat, les drames où se produit un pareil accident ; je n’ai donc pas à le disculper ! ) Or, son Roméo est avocat : non content de payer, comme le fils de Me Guérin et celui de Jean Têterol, les dettes du vieux Capulet, il plaide pour le jeune et le fait acquitter ; il prouve même son innocence. Que ce Roméo est bien moderne ! Au lieu d’attaquer avec l’épée, il pare avec le verbe ; au lieu de donner la mort à Tybalt, il lui sauve la vie. O le bon temps que le nôtre, même pour l’amour ! .. Il n’est plus « le bouffon de la fortune, » cet amoureux Roméo, mais bien plutôt son filleul. Il faudrait n’avoir jamais fait son droit, ne pas même connaître un avocat stagiaire, pour ne pas se réjouir, à la fin, de le voir parfaitement heureux avec sa Juliette.

Mais si ce drame a réussi, peut-être il est temps de le dire, ce n’est pas seulement parce que l’alliance de deux genres, alliance plus nouvelle que ces genres eux-mêmes, y est heureusement consommée : il faut reconnaître aussi que tant de réminiscences, qui, dans une autre tête, eussent formé quelque monstre, se sont organisées avec aisance, avec harmonie, dans un cerveau doué pour le théâtre. Plutôt qu’un Arlequin boiteux, serait-ce une Pallasqui s’élance, tout armée, du front de ce Jupiter de la maison Ollendorff ? Au moins c’est une Pallas