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parens. Ils condamnent les rites des funérailles comme une sorte d’impiété, soutenant que le corps, qui appartient à la terre, doit simplement être rendu à la terre.

Le principe du culte de l’Esprit, ils l’appliquent aux Écritures, affirmant qu’elles doivent être entendues dans un sens spirituel. Partant de cette maxime, ils ne voient que des allégories dans les dogmes du christianisme ou les faits évangéliques. La naissance, la passion, la mort, la résurrection du Christ ne sont pour eux que des symboles. Ainsi la Vierge Marie est la vertu dont naît le Verbe divin. Ils interprètent de même le second avènement du Sauveur, le jugement dernier, la résurrection des morts, qui s’accomplit chaque jour par la conversion des pécheurs. Selon certains investigateurs, ils en seraient venus à nier l’immortalité future, disant qu’après la mort il n’y a rien[1].

Tel est le dernier terme du raskol. Après avoir, durant plus de deux siècles, poussé des branches en tous sens, cet arbre touffu, qui a ses racines dans la superstition, a pour dernier fruit le rationalisme ; sur cette tige, arrosée du sang des martyrs, la fleur suprême est le déisme. Si peu de sans-prêtres vont aussi loin que les non-prians, beaucoup, dans leurs conceptions religieuses comme dans leurs aspirations sociales, inclinent également à une sorte de radicalisme. L’absence de toute hiérarchie, les controverses des sectes, la libre interprétation de l’écriture, demeurée la seule autorité debout parmi les bezpopovtsy, les acheminent sur les routes du rationalisme. Des vieux livres qu’ils s’obstinent à garder, ils tirent peu à peu des idées nouvelles, qui eussent singulièrement scandalisé leurs premiers pères. Ces héritiers des défenseurs de la lettre protestent de plus en plus contre le littéralisme. Le plus choquant de leurs dogmes, le règne actuel de l’antéchrist, est devenu, pour beaucoup, le principe d’un renouvellement spirituel. L’entendant d’une manière allégorique, ils ont étendu la même méthode à d’autres croyances. Dans leurs polémiques avec les orthodoxes, il n’est pas rare d’entendre des Cosaques raskolniks dire que « nous vivons sous de nouveaux cieux, » idée qui ouvre un large champ aux nouveautés et aux hardiesses de toute sorte. Au rebours de leurs ancêtres, qui regardaient la religion comme un tout immuable, auquel nul ne pouvait changer un iota, ils en viennent à lui appliquer l’idée moderne la plus opposée à la « vieille foi, » l’idée d’évolution. Plusieurs soutiennent que ce qui était bon à un autre âge, pour les chrétiens enfans, ne convient plus au nôtre, pour les chrétiens adultes.

Les noms de vieux-croyans et de vieux-ritualistes, dont ils aimaient

  1. Iouzof : Rousskie Dissidenty, p. 88.