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tout croyant peut y être appelé. L’Esprit saint, qui souffle où il veut, peut descendre sur tous et en faire des christs. Aussi est-il des communautés où les sectaires s’adorent les uns les autres, se rendant une sorte de culte mutuel. Comme Jésus devint Dieu par sa sainteté, ils aspirent à devenir des hommes-dieux. Cette divinisation de l’être humain est accessible à la femme aussi bien qu’à l’homme. Tandis que le premier reçoit le titre de christ, la seconde prend celui de sainte vierge ou de mère de Dieu, bogoroditsa. Il y a ainsi des multitudes de christs et de saintes vierges, sans compter les prophètes et les prophétesses. A quelques femmes les khlysty ont même décerné le titre de déesse (boghinia). Cette sorte de mystique apothéose est sans doute un des attraits de la secte. À cette séduction le secret en ajoute une autre. On sait les voluptés de l’initiation et le charme des dévotions clandestines qui donnent à la religion la troublante douceur des émotions prohibées.

Dans les assemblées des hommes de Dieu, les sens ont un rôle, mais ce n’est, le plus souvent, qu’un rôle auxiliaire. Il n’y a là qu’un procédé mystique. C’est au corps d’agir sur l’esprit, c’est aux sens de préparer à l’extase. Non contentes de s’élever à Dieu, sur les ailes de la prière ou de la contemplation, par les voies spirituelles qu’indique l’église, certaines âmes, impatientes des lenteurs d’une telle méthode, cherchent à s’unir au Seigneur par des routes plus courtes appelant à leur aide des moyens artificiels et des excitans physiques. L’extase trop longue à venir, on s’ingénie à se la procurer par le vertige des sens. On invente, pour cela, des procédés mécaniques, on emploie des recettes matérielles. Il y en a de plusieurs sortes, en usage chez les visionnaires de tous les temps et de toutes les religions. Sous prétexte d’atteindre Dieu par l’esprit, c’est au corps que l’on a recours. En prétendant se détacher de la terre et des sens, en aspirant à se transfigurer, pour une heure, en de purs esprits, les mystiques peuvent ainsi tomber dans une sorte de matérialisme. Tel est le cas des khlysty. Comme plusieurs cultes de l’antiquité, comme quelques sectes anglo-saxonnes de nos jours, ils ont, dans le service divin, donné une place au mouvement corporel. La danse est, non moins que le chant, un des élémens de leur office.

Nous avons décrit ces rondes vertigineuses, qui, pour les khlysty comme pour certains derviches de l’Orient, sont le prélude de l’extase. Ces valses inspiratrices portent, chez les hommes de Dieu, le nom expressif de radénié, c’est-à-dire de ferveur. Elles sont peureux, une jouissance divine, en même temps qu’une pieuse cérémonie. Ils aiment, ces mystiques tourneurs, à sentir leurs yeux se voiler, leur tête se troubler, leur poitrine s’oppresser. Ce tournoiement prolongé provoque chez eux une sorte d’ivresse. Il en est, dit-on,