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pratiques ont été imputées aux khlysty civilisés du palais Michel et aux staritses ou bélitses (religieuses ou novices) des couvens Ivanovsky et Dévitchy, aussi bien qu’aux rustiques adorateurs d’Ivan Souslof, le premier christ des khlysty. L’homme, et encore plus la femme, est un être d’une complexité étrange et, comme dit Pascal, qui fait l’ange fait la bête. Aux natures primitives, aux sens novices, les mystères inconnus de la volupté peuvent inspirer une sorte de terreur religieuse et comme un fascinant vertige. Il est des vierges qui s’y livrent avec d’autant plus de frénésie qu’elles les redoutaient davantage. L’attrait du sexe exerce sur certains tempéramens une obsession dont ils ne se délivrent qu’en y cédant; tandis que, par une sorte de perversion intellectuelle, des natures raffinées ou blasées prennent plaisir à mêler l’érotisme au mysticisme, se délectant à aiguiser et à rehausser l’un par l’autre le délire des sens et l’ivresse du surnaturel. Chez quelques illuminés, la débauche en commun a même pu être employée comme un procédé ascétique, un moyen d’abattre le corps en le rassasiant ; la volupté a pu servir au même but que la mortification, et, elle aussi, devenir le prélude de l’inspiration ou de l’extase.

Ces oppositions ou ces combinaisons d’ascétisme et de naturalisme ne sont pas les seules que nous offrent de pareilles sectes. Aux rites licencieux quelques visionnaires ont joint ou substitué des cérémonies sanglantes. Comme la volupté et la génération, la souffrance et la mort ont pu prendre une place dans le culte. La génération et la mort, les deux extrémités des choses humaines, l’alpha et l’oméga de tout être vivant, sont les deux choses qui frappent le plus violemment l’imagination; toutes deux prennent presque également, chez les peuples enfans, un aspect religieux. De tout temps, des forcenés se sont plu à les associer à l’ombre des temples. Il en était ainsi, dans l’antiquité, de plusieurs des cultes de l’Orient, de la Syrie notamment. Pourquoi la superstition ne les aurait-elle pas accouplées çà et là dans les izbas russes? Pour les intelligences primitives, le sang a été partout le grand purificateur. A une époque même de haute culture, sous la Rome impériale, la sanglante aspersion du taurobole et du criobole était la dernière ressource du paganisme expirant. Le sacrifice, l’holocauste vivant, a été, chez tous les peuples, l’acte religieux par excellence. La grande originalité du christianisme a été de le supprimer pour le remplacer par le mystique sacrifice de l’agneau. Comment s’étonner que, par une sorte de rétrogression ou d’atavisme, il ait pu se trouver, au fond d’un peuple encore à demi païen, parmi les descendans de tribus barbares superficiellement converties, des natures assez grossières pour ne point se contenter du symbolique holocauste de la cène chrétienne, et revenir clandestinement au sacrifice de chair et