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parce que nous devons le vouloir invariablement nous-mêmes, et que nous ne pouvons le vouloir ainsi que si nous y voyons la vérité, » — La vérité, oui sans doute, en ce sens que le bien est le véritable idéal de l’humanité et même du monde; mais la plus haute vérité est-elle une « réalité? » ce qui doit être est-il déjà réel ? Tel est toujours le problème.

Voici ce qu’on pourrait dire : — Dans les questions relatives à l’existence ou à la non-existence du divin, affirmer la possibilité de Dieu revient à affirmer sa réalité, parce que, quand il s’agit de choses éternelles, il n’y a plus de différence entre le possible et l’actuel : elles sont déjà ou elles sont chimériques; les déclarer possibles, c’est donc les déclarer actuelles, c’est prononcer qu’il y a quelque éternelle réalité qui les rend éternellement possibles ; car l’acte, dit Aristote, fonde la puissance. En d’autres termes, toute décision morale affirme la possibilité du règne de Dieu, donc elle affirme la réalité actuelle de ce qui rend ce règne possible, c’est-à-dire la réalité actuelle de Dieu.

Tel est le meilleur argument moral en faveur de la divinité; mais ne nous méprenons pas sur sa portée. L’acte moral n’affirme en rien la possibilité intrinsèque d’un règne universel du bien, encore moins la réalité des conditions, quelles qu’elles soient, qui rendraient ce règne possible ; l’acte moral affirme seulement que l’impossibilité d’un triomphe final pour le bien universel ne m’est pas connue, à moi : c’est donc simplement mon ignorance que j’affirme relativement à la possibilité ou à l’impossibilité du monde moral, et j’affirme en même temps ma volonté de faire effort pour réaliser ce monde, au cas où il serait possible comme il est certainement désirable. Quant à l’éternelle identité du possible et de l’actuel en un être suprême, c’est une des manières dont nous nous représentons subjectivement les conditions objectives qui rendraient possible un monde moral. Je puis faire là-dessus des spéculations métaphysiques et des inductions; ces spéculations peuvent offrir tel ou tel degré de probabilité théorique, mais l’acte moral ne saurait changer le probable en certain; il n’affirme rien au-delà de lui-même ni au-delà de tout ce que la spéculation peut établir de certain, de probable ou de possible sur son objet.

Il y a dans le livre de M. Secrétan une belle et noble parole : « Pour peu qu’il soit possible de croire en Dieu, nous devons y croire. «  — Oui, certes, dans la mesure même où nous voyons des raisons qui rendent pour nous possible ou probable l’existence de Dieu ; mais, si M. Secrétan veut dire que nous devons fermer les yeux aux raisons contre et ne voir que les raisons pour, affirmer dès lors comme certaine une existence qui nous paraît seulement possible, probable, en tout cas désirable, nous ne saurions admettre cette