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doutes sur le fait que des trésors ont été enfouis dans les îles et îlots de Hat, Soldier, Pelican et Grassy-Keys, refuges des boucaniers qui écumaient autrefois ces mers, courant sus aux galions espagnols, parcourant le golfe de Honduras, la baie de Campêche, les grandes et les petites Antilles, entassant leur butin dans ces repaires où ils entraînaient leurs captives et se livraient à de terribles orgies.

La plupart des recherches faites n’ont abouti cependant qu’à des déceptions et à la ruine de ceux qui en faisaient les frais, mais l’aléa est tel, et tel aussi le mirage, qu’il suffit d’un explorateur heureux pour encourager les autres. Ce que l’on sait peu, c’est que l’une des plus riches et des plus puissantes familles de l’aristocratie territoriale anglaise est, en partie, redevable de sa fortune et de sa grandeur à une entreprise de cette nature et à la persévérance avec laquelle son ancêtre, simple charpentier américain, sut la mener à bien.

Il avait nom William Phipps. Né à Woolich, petit village du Maine, il était fils d’un ouvrier fondeur, sans autre fortune qu’une lignée de vingt-six enfans. Notre héros, fondateur de l’illustre maison des marquis de Normanby, pairs d’Angleterre, millionnaires, propriétaires de la résidence princière de Mulgrave-Castle, dans le Yorkshire, était le dix-neuvième. De bonne heure il dut quitter la maison paternelle pour entrer comme berger au service d’un fermier colonial des environs. C’était sous le règne de Charles II d’Angleterre. Le Maine se peuplait de colons anglais, agriculteurs et pêcheurs, pêcheurs surtout, comme en faisait foi le blason de la nouvelle province. Une morue, dont le Maine faisait alors grand commerce avec les Antilles, y figurait en belle place. La vie sédentaire de gardeur de troupeaux convenait peu à l’esprit aventureux de William Phipps ; comme la plupart de ses compatriotes, il rêvait voyages, explorations lointaines ; mais ne trouvant pas à s’embarquer, vu son ignorance des choses de la mer, il s’engagea comme apprenti chez un charpentier de navires. Ce fut sa première étape vers l’Océan qui l’attirait, et il s’en fallut de peu qu’il n’allât pas plus loin.

Sa bonne mine lui fit en effet trouver faveur auprès d’une riche veuve. Elle s’éprit de lui et il l’épousa, espérant trouver dans cette union le moyen de venir en aide à ses frères et sœurs. Mais il en avait vingt-cinq, et la veuve n’y voulut rien entendre, estimant avoir bien fait les choses en le mettant à même de s’établir pour son compte, et de devenir propriétaire du chantier où il travaillait comme ouvrier. Il se résigna donc et attendit.

En jour, sur le quai de Boston, il surprit une conversation entre deux matelots. Ils parlaient d’un navire espagnol coulé, disait-on,