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sur ceux d’Addison, Junius, Swift, Bolingbroke, dont ils imitaient les procédés et le style. James Gordon Bennett n’hésita pas à mettre de côté cet antique bagage. S’inspirant directement de la presse française, il lui emprunta ses alinéas redoublés, sa phrase brève et claire, sa polémique alerte et dégagée, ses articles courts, tout en multipliant les appréciations variées, et en ouvrant largement ses colonnes aux renseignemens commerciaux, financiers, politiques, littéraires, puisés aux meilleures sources.

L’annonce, admirablement comprise, puissamment encouragée et développés par lui, assurait au journal des recettes croissantes. Son éditeur n’avait pas oublié l’heureuse intervention de Brandreth. Depuis, il consacrait à cette branche importante une attention toute particulière, remaniant le système primitif, organisant un classement spécial, réduisant les prix, élargissant les cadres de sa publicité dans des proportions telles que le Herald du 13 avril 1869 contenait déjà quatre-vingt-seize colonnes, dont cinquante d’annonces; la composition coûtait 3,000 francs par jour et le tirage absorbait plus de 11 tonnes de papier.

La pose du câble sous-marin, la guerre de sécession, la guerre de la Prusse et de l’Autriche, la guerre de France, ne firent qu’accroître la prospérité du New-York Herald. Pendant la guerre de sécession, M. James Gordon Bennett affecta jusqu’à 2 millions 1/2 aux dépenses de ses correspondans spéciaux. Le discours du roi de Prusse, après Sadowa, annonçant la paix avec l’Autriche, transmis par le câble sous-marin, lui coûta 36,500 francs. Admirablement servi par des hommes de premier ordre, dirigés par son fils James Gordon Bennett junior, propriétaire actuel du Herald, qu’il s’associait en 1866, il devançait les informations du ministère, du Times lui-même, et apprenait au gouvernement anglais, qui l’ignorait encore, la victoire que les troupes britanniques remportaient, en 1868, au cœur de l’Afrique, sous les ordres du général Napier.

On n’a pas oublié la scène curieuse qui se passa, en octobre 1869, au Grand-Hôtel, à Paris, entre James Gordon Bennett junior et H. M. Stanley, reporter du journal. Appelé de Madrid par une dépêche de son chef, Stanley arrive au milieu de la nuit et se rend dans la chambre de M. Bennett.

— Qui êtes-vous?

— Stanley.

— Ah ! oui. Prenez un siège. J’ai une mission à vous confier.

Puis, se levant et jetant sa robe de chambre sur ses épaules :

— Où pensez-vous que soit Livingstone ?

— Je n’en sais vraiment rien.

— Croyez-vous qu’il soit mort?