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protectionnistes adoptées avaient donné une impulsion prodigieuse au mouvement commercial de l’Union, mais le marché était encore surchargé de papier-monnaie ; l’or se maintenait à un prix élevé, accaparé qu’il était par un petit nombre de spéculateurs intéressés à soutenir les cours. Jay Gould était le plus important de tous, et telle était déjà sa suprématie financière, qu’il contrôlait en maître le marché du numéraire. Seul, le trésor public échappait à son action ; aussi suivait-il d’un œil attentif la politique du président, anxieux de connaître les mesures auxquelles il s’arrêterait quant à l’encaisse métallique du trésor, soupçonnant un mystère et peut-être un piège dans le secret soigneusement gardé et que ses émissaires ne parvenaient pas à deviner.

La baisse de l’or devait entraîner celle des actions de chemins de fer, dont il était gros porteur. D’autre part, le pays tout entier réclamait la reprise des paiemens en numéraire; on pressait le gouvernement de prendre résolument l’initiative de ramener l’or dans la circulation; pour cela, on lui demandait d’autoriser le ministre des finances à en vendre à la Bourse d’importantes quantités immobilisées dans ses caisses et de venir ainsi en aide aux baissiers, impuissans à tenir tête à Jay Gould et à ses adhérens. Le président et ses ministres accéderaient-ils aux demandes de l’opinion publique?

Pour éclaircir ses doutes, Jay Gould offrit au président une fête splendide, dont on fit grand bruit ; il espérait obtenir du général Grant, dans le cours de la conversation, quelques indications sur le parti auquel le cabinet s’arrêterait, ou, à tout le moins, faire croire au public à un accord entre le gouvernement et lui, mais le taciturne président resta muet comme un sphinx. A la fin seulement, pressé de questions indirectes et d’allusions à la prospérité dont les hauts cours étaient l’indice, suivant ses interlocuteurs, il sortit de son silence pour dire que « ces hauts cours lui paraissaient plus factices que réels, et que cette bulle de savon pouvait aussi bien crever alors que plus tard. » Les ennemis de Jay Gould affirment que le lendemain il faisait savoir au général Porter qu’il mettait un demi-million en or à sa disposition s’il consentait à user de son influence en haut lieu pour obtenir que le cabinet restât neutre. Cette proposition aurait été rejetée.

L’or était à 140. Prévenu, au mois de septembre, par un de ses affidés, que le gouvernement avait décidé d’entrer prochainement en campagne en mettant à la disposition du marché des quantités d’or considérables, M. Jay Gould prit l’initiative d’une brusque hausse, et une lutte financière, comme les vieux murs de Wall-Street n’en avaient pas encore vue, s’engagea dans le gold room. « Dans