Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/173

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de dollars; mais qui s’y souvient aujourd’hui des modestes millionnaires de cette époque : les Brandegee, Browne, Barclay, Grover, Ward, Leggett et autres?

Il avait treize enfans, dont neuf filles. De ses quatre fils, l’un, Francis, mourut en bas âge. Il les éleva durement, comme il avait été élevé lui-même. La sensibilité n’était pas sa note dominante. Despote par tempérament, il gouvernait sa famille avec une main de fer. Il n’aimait guère alors son fils aîné, William-Henry; il avait une antipathie marquée pour le second, Cornélius-Jérémiah, épileptique, irritable et sombre, indolent et joueur, dont la santé délicate l’humiliait par son contraste avec sa propre vigueur. Son favori paraissait être le cadet, George ; il n’hésitait cependant pas à s’en séparer et à l’envoyer à l’école de West-Point.

De bonne heure il plaça son fils aîné en qualité de commis dans une maison de banque. William tenait de lui la persévérance, la volonté obstinée. Entré aux appointemens de 150 dollars (750 fr.) par an, il en gagnait 1,000 trois ans plus tard, s’éprenait de miss Louisa Kissam et l’épousait, malgré les remontrances de son père.

— De quoi vivrez-vous? lui demandait le commodore, déjà riche à millions.

— Des dix-neuf dollars que je gagne par semaine.

— William, je vous ai déjà dit et je vous répète que vous n’êtes et ne serez jamais qu’un sot.

Et il s’en tint là, aussi bien en fait de bénédiction paternelle que de dot. Quand, quelques années plus tard, William, qui se surmenait de travail, tomba malade et se vit dans l’impossibilité de continuer ses occupations sédentaires, il lui acheta cependant une petite ferme dont il lui fit présent, ajoutant : « Je vois bien que je suis le seul de notre race capable d’autre chose que de remuer la terre[1]. »

En 1848, la découverte des mines d’or sur les rives du Sacramento provoqua une émigration considérable. La Compagnie du Pacifique, en possession du transit par Panama, transportait les voyageurs à raison de 000 dollars (3,000 fr.) de New-York à San-Francisco. Vanderbilt vit une fortune à faire en créant une concurrence, à moitié prix, par Nicaragua. Il ne se trompait pas; ses mesures furent promptement prises, et pendant plusieurs années cette ligne nouvelle lui rapporta 5 millions annuellement.

L’idée lui vint, en 1853, de se reposer de ses labeurs, de visiter l’Europe et de jouir quelque peu de son énorme fortune. Il était alors, sans conteste, l’un des hommes les plus riches des États-Unis ;

  1. The Vanderbilts, by Croffut, 1 vol. in-8o; Griffith et C°. Londres.