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Ce que nous avons voulu chercher dans les ouvrages d’Etienne Pasquier, c’est lui; ce qui de lui nous occupe, c’est le Gaulois aux prises avec les influences de l’antiquité et s’en modifiant. Il est au nombre des plus propres, le plus propre peut-être, à servir de sujet pour une telle étude psychologique. Puisse celle que nous allons entreprendre intéresser! On voudra bien y pardonner des réflexions générales, un peu longues peut-être, et cependant indispensables à l’intelligence de notre matière : par exemple, il faut bien, avant tout, tâcher de définir ce qu’est un Gaulois, puisque Pasquier, tout le premier et tout le long de ses œuvres, s’y est plaisamment mépris ; un peu plus tard, ce ne sera pas un hors-d’œuvre que d’examiner ce qu’un Gaulois peut gagner au commerce des anciens, puisque Pasquier est, par définition, un Gaulois à l’école de Rome.


I.

Nous disons que Pasquier, quelque prix qu’il mît à la qualité de Gaulois et tout Gaulois qu’il fût né, vécut dans d’étranges erreurs sur le sens qu’il convient de donner au mot Gaulois. Le fait est piquant ; ce qui ne l’est pas moins, c’est qu’à l’heure actuelle encore, bon nombre des gens qui font profession ouverte de sympathie ou de dédain pour le Gaulois n’ont point cependant de sa nature et de ses origines une idée plus juste que Pasquier.

Leur erreur capitale vient de ce qu’ils veulent se figurer, de ce qu’ils tiennent à se figurer le Gaulois comme le pur descendant des Galli, premiers habitans de notre sol. Amédée Thierry, l’auteur de l’Histoire des Gaulois, a flatté complaisamment leur manie, quand il écrivit que le caractère des Galli se continue dans celui des Français à toutes les époques et malgré le mélange des races par invasion et conquête. Pasquier s’obstinait à se considérer comme un Gallus ; il faisait bon marché du sang latin, qu’il tenait sans doute pour être d’inférieure qualité, les Romains n’ayant conquis les Gaules qu’à la faveur de nos divisions ; et quant au sang franc, bien qu’il en eût plus d’estime, et reconnût qu’à la longue « les braves Français (Francs) se naturalisèrent dans notre pays comme légitimes Gaulois, » il ne l’acceptait pas davantage, puisqu’il croyait utile d’établir que notre valeur égalait celle des Francs et qu’il fallut sans doute un décret divin pour nous réduire et nous faire passer sous leurs lois. Pasquier eût été fort en peine, à la réflexion, de dire si, parmi ses ancêtres, il comptait plus de Gaulois, plus de Romains ou plus de Francs, et chacun de nous éprouverait même embarras. Nous