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que la langue du XIIIe siècle était un excellent instrument pour faire de grandes œuvres ; si de l’inspiration franque ou celtique n’est pas né dans cet âge héroïque le poème que nous eussions aimé, quelque épopée rivale des plus grandes, c’est peut-être qu’un poète a manqué, mais n’est-ce pas aussi que l’inspiration venue du nord ne nous convenait qu’à demi ? Nous avons, au contraire, promptement montré, par les œuvres des deux grands siècles, que l’inspiration grecque et latine nous convenait tout à fait.

Après que l’esprit des meilleurs parmi les Gaulois eut enfanté, sous le souffle des anciens, les œuvres qui font l’orgueil littéraire de la France, la France par gratitude reconnut à cet esprit le nom d’esprit français : esprit de clarté, d’ordre, de raison, de goût parfait, de noblesse, en lequel se reconnaît l’esprit gaulois, mais l’esprit gaulois sorti de l’enfance, armé pour la pensée par le haut enseignement qu’il lui fallait, magnifique de virilité puissante et contenue, battant son plein.

Au temps d’Étienne Pasquier, on n’en est pas à ces beaux résultats : on est encore à l’école, on pioche, mais on recueille déjà de ses sueurs d’estimables fruits. Nous allons bien le constater en étudiant sur le vif de sa vie et de son œuvre les conséquences que donnait en un homme de robe du XVIe siècle l’alliance d’une nature gauloise et d’une éducation par les anciens.


IV.

Et notons d’abord que, plus que toute autre catégorie de personnes, les gens de robe, comme Étienne Pasquier, devaient se bien trouver d’être nés Gaulois et d’avoir reçu la belle culture antique. Quelles qualités, en effet, tiendront égal à leur tâche le magistrat ou l’avocat, l’homme chargé de faire justice sur la terre ou celui qui prend mission d’éclairer le justicier ? Toutes les qualités de ce que nous appelons l’esprit français : ainsi, la faculté de dominer les choses, porté par un certain nombre de principes élevés auxquels on s’attache fermement ; la vue perçante et claire qui va droit au principal à travers les détails ; la franche décision. La justice des hommes, chargée de procurer aux sociétés leur fonctionnement tranquille, doit être de toute nécessité, cela est triste à dire, fort différente de la justice de Dieu ; les hommes, pour peser à leurs tribunaux faits et droits, ne peuvent tenir compte de la chaîne infinie des origines et des causes, comme nous avons la foi que Dieu le fait ; ils ont décrété des règles auxquelles est tenue de s’ajuster tant bien que mal la conduite d’un chacun ; ces canons, simplification utilitaire du code de nos devoirs de conscience, il faut que le