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Quand je la vis, ô qu’éperdu je fus,
Que de travail en un coup je reçus,
que de mal dans un bouillonnant aise !

Tout le soleil en ses yeux s’était mis.
Dans son flambeau un petit dieu je vis
Qui de mon cœur faisait une fornaise.


Çà et là de jolis vers plus directement sentis :


O doux baisers qui germez en ma dame !


Puis, la phase où l’amoureux a secoué le joug et conquis sa liberté ; il use et abuse de son indépendance, comme on en va juger :


Dames! d’amour je suis le parangon!..
………………
J’ai une affection puissante
Qui peut loger et vingt et trente
Dames d’honneur dans mon pourpris...
………………
Puisque mon cœur en cire se transforme,
Ne t’ébahis, Jodelle, si mon âme
Imprime en soi le beau de chaque dame
Et si mon tout en leur tout se conforme.

Comme l’on voit la vigne embrasser l’orme,
Ainsi la Blanche et Brune je réclame,
Ainsi la Maigre et la Grosse m’enflamme;
En elles rien je ne vois de difforme.


Ensuite, la période où le héros s’occupe de sa fortune et généralement des choses sérieuses ; il ne s’en fait de tracas que raisonnablement; par exemple, il dit à sa femme :


Nous sommes mariés, part pour avoir lignée,
Part pour être en nous deux notre foi abornée.
De procréer enfans, c’est au monde un grand heur ;
De n’en avoir, ce n’est pour cela un malheur.
Celui qui a lignée a sur d’autres plus d’aise;
Si tu n’en as, tu as moins aussi de malaise.


Cette façon de prendre la vie est de saine tradition gauloise, et le bon La Fontaine verra tout de la sorte. L’auteur termine son amusement comme il suit :


Si tu me vois, lecteur, sous un chenu pelage,
Représenter tantôt un vieil homme gaillard,
Puis tout soudain en faire un rechigné vieillard.
Je me joue en ce point glorieux de mon âge.