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l’adoucir sur le compte des jésuites; il ne voulut jamais avouer qu’il avait été passionné envers eux; il reconnaissait bien que beaucoup étaient estimables personnellement, mais tant qu’il eut du souffle, il déclara leur ordre détestable et dangereux, et même l’on peut dire que son animosité ne fit lue croître jusqu’à la fin. Au vrai, les jésuites ne faisaient rien pour éteindre la querelle : justement irrités, ils mettaient même à riposter contre leur adversaire plus de violence encore que celui-ci n’en apportait à les attaquer. Le Catéchisme des jésuites ou Examen de leurs doctrines, que publia Pasquier en 1602, et qui fait un peu songer aux Provinciales de Pascal, est d’une modération recommandable à côté de la Chasse du renard Pasquin attribuée au jésuite Richeome.

La mort d’Etienne Pasquier, que nous a racontée son fils Nicolas, est d’un Romain et surtout d’un chrétien, avec quelques traits d’un Gaulois. En ressuscitant de la poudre des livres l’âme païenne, cette âme haute et dure que les doux disciples du Christ avaient éteinte de leur parole et de leur sang, la renaissance prépara pour une bonne part l’agitation douloureuse du monde moderne; mais c’est au XVIIIe siècle seulement qu’entre l’esprit antique et l’esprit chrétien devait éclater la lutte. Il est curieux de noter comme ces deux esprits, opposés par tant de côtés l’un à l’autre, s’alliaient cependant avec bonheur chez les hommes du temps et de l’espèce de Pasquier. Les livres des grands païens ne faisaient qu’ennoblir et élever les cœurs, alanguis naguère dans le train-train de la vie à la gauloise, et que les tenir ouverts aux sublimes influences du christianisme ; de même, les preux du moyen âge avaient été de nobles chrétiens, car le souffle franc, l’héroïsme des combats, avaient fait leurs cœurs grands. Les plantes ont besoin, pour bien venir, que le sol soit souvent rajeuni et transformé; aux âmes, que lassent en se prolongeant les meilleurs états d’être, il est nécessaire de se régénérer par intervalles, afin que les beaux sentimens reviennent à fleurir.

Le matin du 30 août 1615, Pasquier revoit le chapitre des Recherches de la France qui démontre qu’un pape ne peut ni déposer un roi de France ni délier ses sujets de leur devoir de fidélité ; puis il écrit trois quatrains pour affirmer qu’il ne regrette point sa jeunesse, et qu’aussi bien il entend rester jeune jusqu’à sa mort ; puis il assiste aux leçons de ses petits-enfans, déjeune gaîment. Tout à coup, il sent approcher la mort, le dit et dit en même temps qu’un homme de bien ne la doit pas craindre. On lui propose le médecin, il demande avant tout le prêtre. Il reçoit avec humilité les sacremens, que lui apporte son ami, le curé de Saint-Nicolas. Ensuite il bénit ses enfans, les exhorte au bien, à la concorde.