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6 mètres de moi. Sa figure était tournée vers moi, et elle me suivait. Je passai alors entre l’église et la tombe, cherchant à voir si celle-ci avait été ouverte. A un moment, ayant manqué de tomber sur le gazon, je regardai à mes pieds; quand je levai les yeux, elle avait disparu. Elle ne pouvait pas être entrée dans l’église sans m’avoir dépassé, et alors je fus convaincu qu’elle était rapidement entrée dans le mausolée. J’allai à la porte, que je croyais trouver ouverte, mais cette porte était fermée, et n’avait pas été ouverte; car il n’y avait pas de clé dans la serrure. Je secouai la grille et m’assurai que personne n’y était entré. Il était alors neuf heures vingt minutes du soir. En rentrant, je racontai à ma femme que j’avais vu Mme de Fréville.

« Le jour suivant, j’appris qu’elle était morte. »

En réalité, Mme de Fréville était morte ce même jour, à sept heures trente minutes du soir, par conséquent une heure et demie environ avant le moment où M. Bard avait cru la voir.


Voici un troisième cas, tout à fait démonstratif :

«M. S... et M. L..., employés tous les deux dans une administration, étaient depuis huit ans en intimes relations d’amitié. Le lundi 19 mars 1883, L..., en allant à son bureau, eut une indigestion; alors il entra dans une pharmacie où on lui donna un médicament en lui disant qu’il avait une affection du foie. Le jeudi, il n’était pas mieux ; le samedi de cette même semaine, il était encore absent du bureau. S... a su depuis qu’il avait été vu par un médecin qui lui avait annoncé qu’il serait malade un ou deux jours, mais sans qu’il y eût rien de sérieux. Le samedi soir, 24 mars, S... était chez lui, ayant mal à la tête ; il dit à sa femme qu’il avait trop chaud, ce qui ne lui était pas arrivé depuis deux mois ; puis, après avoir fait cette remarque, il se coucha, et, une minute après, il vit son ami L..., debout devant lui, vêtu de ses vêtemens habituels. S... nota même ce détail de l’habillement de L... que son chapeau avait un crêpe noir, que son pardessus n’était pas boutonné et qu’il avait une canne à la main. L... regarda fixement S... et passa. S... alors se rappela la phrase qui est dans le livre de Job : « Un esprit passa devant ma face, et le poil de ma chair se hérissa. » À ce moment, il sentit un frisson lui parcourir le corps et ses cheveux se hérissèrent. Alors il demanda à sa femme : « — Quelle heure est-il? » Celle-ci lui répondit : « — Neuf heures moins douze minutes. » Il lui dit : — « Si je vous le demande, c’est parce que L... est mort; je viens de le voir. » — Elle essaya de lui persuader que c’était une pure illusion; mais il assura de la façon la plus formelle qu’aucun raisonnement ne pourrait le faire changer d’opinion. »