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tout comme si M. Bard eût cru voir devant lui Hercule avec la peau du lion de Némée.

Mais le caractère véridique de ces hallucinations, de ces sympathies, de ces rêves, est bien remarquable. Jusqu’ici, on n’avait pas pensé qu’une hallucination pût être empreinte de vérité. On avait relégué toutes les histoires d’apparitions dans le domaine des fables. Il semble qu’il faille revenir de notre naïve assurance. Certaines hallucinations sont bien plus compliquées qu’une simple image qui apparaît à un fou, sans cause, sans relation avec les faits lointains ou proches. Ce sont des hallucinations véridiques qui nous permettent de soupçonner qu’il existe une faculté de connaissance, dont tous les termes assurément nous échappent, mais qui se manifeste parfois chez certains hommes, et qui, pour bien prouvée qu’elle soit, quant au fait même, reste encore, quant à sa cause et à ses modalités, profondément mystérieuse.

C’est à cela que se borne la conclusion scientifique irréprochable qu’on peut déduire des Phantasms of the living. Et si l’on vient dire que c’est pour deux gros volumes et dix ans de patience un bien maigre résultat, nous trouverons qu’on commet une cruelle injustice. Le voile d’Isis n’est pas tombé ; — hélas ! il ne tombera peut-être jamais, — mais on a osé le toucher. Au lieu de regarder ces mystères comme soustraits à la connaissance humaine, on les a abordés bravement.

Ce que l’avenir réserve à l’homme, nous l’ignorons. Peut-être nos petits-neveux auront-ils des lumières que nous n’avons pas, mais ils devront rendre justice aux laborieux el savans auteurs des Phantasms of the living, qui ont affronté une des plus difficiles questions qui soient, apportant quantité de nouveaux faits et se jetant dans la mêlée, sans craindre les railleries mordantes ou l’indifférence épaisse du public.

Pour notre part, nous avons la ferme conviction que c’est là une voie féconde. Certes elle est périlleuse, et on risque de s’y perdre ; car on s’avance à pleines voiles dans l’inconnu. Mais qui donc aborderait l’inconnu, sinon la science? Malheur à la science qui se satisfait de ce qui est acquis, qui apporte un programme immuable, dont elle ne veut et n’ose sortir, qui croit avoir fait dire à la nature son dernier mot ! Malheur à la science qui ne se régénère pas sans cesse! Elle tombe bientôt dans la décrépitude. Il lui faut une évolution perpétuelle et comme une agitation révolutionnaire incessante. Si donc notre science contemporaine ne cherche pas dans les régions jusqu’à ce jour inaccessibles où le progrès l’entraîne, elle sera, dans quelque cent ans, aussi démodée que la scolastique d’Abélard ou la mystique de Paracelse.


RAPHAËL CHANDOS.