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demande pas de nous intéresser aux « époques » de la procédure ou de l’instruction criminelle, et de donner une place dans l’histoire de la littérature au conseiller Pussort. Mais les grands mots et les phrases n’y sauraient rien faire, que de prouver peut-être combien la critique a raison dans son indifférence. « Tu te fâches, donc tu as tort. » Et, en effet, il n’est pas croyable, depuis La Harpe jusqu’à Sainte-Beuve, si les historiens de la littérature en eussent espéré autant de plaisir ou de profit que de la lecture de Bourdaloue, qu’ils eussent négligé celle des plaidoyers de Cochin ou de Patru. Ils en ont fait, ils en font tous les jours de moins divertissantes. Et, à qui, comme Nisard, n’a pas reculé devant les œuvres de Mélanchthon, ou, comme Sainte-Beuve, s’est chambré, pendant des années, avec les pieux et diffus historiens de Port-Royal, j’ose dire qu’il était facile de lire, après cela, en manière de délassement, quelques plaidoiries d’Antoine Lemaistre ou quelques belles « actions » de Guillaume du Vair. Mais, apparemment, il leur aura semblé, toutes les fois qu’ils y mettaient le nez, que c’était un peu toujours la même chose, que de trop nombreux défauts y gâtaient de trop rares qualités, je veux dire trop clairsemées, que ces défauts eux-mêmes ne procédaient pas tant des personnes que du genre; et qu’ainsi l’histoire de l’éloquence judiciaire en France était extérieure et assez étrangère à l’histoire de la littérature française. Je vais essayer de motiver le jugement qu’ils se sont bornés à prononcer, et dont j’entends bien que M. Munier-Jolain fait appel, mais que je ne vois pas qu’il ait mis à néant.

Il y a peut-être en littérature des genres qui ne sauraient souffrir la médiocrité, — je ne sais trop lesquels, — mais on dit qu’il y en a, et pour aujourd’hui, je le crois. Il y en a d’autres, au contraire, qui la souffrent, qui ne la supportent pas seulement, qui la comportent, et dont on peut aller jusqu’à dire qu’ils en vivent : tels sont le sermon, le discours politique, tels encore le réquisitoire, et le plaidoyer d’avocat. La raison n’en est pas difficile à donner : c’est qu’on ne les a point inventés pour caresser les oreilles des hommes, mais pour traiter de nos affaires, pour assurer l’exercice de nos droits, pour nous apprendre celui de nos devoirs; et ils ne sont littéraires que par accident ou par occasion. Ou encore, ce sont des actes autant que des paroles; et s’ils sont éloquens, c’est bien, mais ils peuvent se passer de l’être, et communément ils s’en passent. De quoi se plaignent donc ici les avocats? Vous diriez à les entendre que nous leur faisons cruellement injustice, et je crains qu’ils ne nous soupçonnent de complaisance pour les orateurs politiques, et surtout pour les prédicateurs. Mais combien sont-ils, ces prédicateurs, dont l’histoire ait gardé le souvenir? et combien ces hommes politiques? C’est ce que l’on a généralement oublié de considérer.

Car je vois bien jusqu’à trois sermonnaires : Bossuet, Bourdaloue,