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Massillon; Massillon, Bourdaloue, Bossuet; Bourdaloue, Bossuet, Massillon ; avec cela, loin derrière eux, Mascaron ou Fléchier, que j’abandonne aux avocats, s’ils veulent les prendre pour eux; et plus loin, beaucoup plus loin, des Fromentières et des Bretonneau, des abbé Poule et des père Cheminais, des Bridaine et des Neuville. Je demande à M. Munier-Jolain s’il les croit beaucoup plus illustres, ou beaucoup plus connus, qu’Antoine Lemaistre et qu’Olivier Patru? Cependant, depuis deux siècles et demi, si l’on a beaucoup plaidé, on a beaucoup prêché aussi en France; et l’on continue d’y prêcher comme d’y plaider; et de tant de sermons, voilà ce qui surnage, et de tant d’orateurs, voilà ce qui survit : cinq Avens, quatre Carêmes, une cinquantaine de sermons pour toutes les fêtes de l’année, huit ou dix Oraisons funèbres; et trois noms ! En vérité, les avocats ne se moquent-ils point quand ils se prétendent frustrés dans ce partage de l’attention publique. Mais, dans nos Recueils de Morceaux choisis ou dans nos histoires de la littérature, si quelqu’un tient encore trop de place, c’est le vénérable d’Aguesseau. Je le supprimerais, si j’en étais le maître, et, une fois supprimé, je voudrais bien savoir ce qui manquerait à l’histoire de la littérature française. Car il se peut qu’une Mercuriale soit éloquente, comme une plaidoirie, comme un sermon, comme un discours aussi sur le relèvement des tarifs de douane ou sur la conversion de la rente : je dis seulement qu’ils ne doivent l’être, qu’ils ne le peuvent être que de surcroît; et surtout qu’autant qu’ils ne veulent pas l’être. L’une des raisons qui, certainement, en France, ont contribué le plus à discréditer l’éloquence du barreau, ç’a été sa prétention d’être de l’éloquence, et l’abus qu’elle a fait, pour la soutenir, des ornemens appelés littéraires : la citation et l’allusion savantes, la métaphore et la périphrase, le grec et le latin, l’ithos et le pathos, l’exclamation et la prosopopée. Rien aussi, comme l’on sait, n’a plus retardé les progrès de l’éloquence de la chaire que cette manie d’étaler, cette ambition d’être « littéraire, » et cette fureur même de se faire admirer.

Mais voici d’autres raisons, plus profondes ou plus intimes, qui, depuis qu’elle s’est dégagée du pédantisme et de l’érudition, ont empêché l’éloquence judiciaire, et l’empêcheront toujours de s’égaler à ses rivales. Je ne dirai pas qu’elle manque de sincérité : on l’a trop dit; et l’expression, en même temps qu’elle serait malhonnête, ne traduirait avec exactitude ni ma propre pensée, ni la nuance, assez délicate qu’il s’agit d’indiquer. Est-il cependant vrai que, tandis que ni le prédicateur ne compose avec ses croyances ou n’est censé composer avec elles, ni l’orateur politique avec ses convictions, ou avec ses intérêts, — lesquels sont toujours lui-même, et suffisent conséquemment à passionner son discours; — L’avocat, au contraire, ne parle jamais en son nom, dans une cause qui soit entièrement sienne, mais toujours au nom d’un client dont il est le porte-paroles, l’interprète et le substitut?