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toujours et surtout très circonstanciée. C’est ce qu’avait fort bien montré jadis, dans un gros livre sur l’Eloquence judiciaire au XVIIe siècle, M. Oscar de Vallée. C’est aussi ce que M. Munier-Jolain à son tour, dans ses Époques, eût pu faire bien mieux ressortir. Car parlez-moi d’un bon procès pour nous faire voir les gens in naturalibus, dans toute la naïve impudeur de leur égoïsme ou de leur cupidité, de leur ingratitude ou de leur lâcheté, de leur bassesse ou de leur férocité! Ni leurs confesseurs, et en ce temps-là tout le monde avait un confesseur, ni leurs médecins mêmes n’obtiennent d’eux, n’en tirent ou n’en arrachent de semblables aveux. On dit tout à son avocat, et même ce qu’on ferait beaucoup mieux de lui taire. C’est pourquoi ce serait une mine à creuser, un trésor à exploiter peut-être, que les annales de l’éloquence judiciaire, dont je ne connais pas bien la richesse ni la profondeur, mais tout de même où je m’étonne que l’on n’ait pas regardé de plus près. Dût la tentative en être infructueuse, au moins encore faudrait-il qu’on l’eût faite, puisque là où il n’y a rien, c’est nous avoir appris quelque chose que de nous avoir montré qu’effectivement il n’y a rien. Mais il y a quelque chose dans les annales de l’éloquence judiciaire; à défaut d’intérêt littéraire, elles ont un intérêt historique certain ; et ce que l’on y trouve ne se trouve que là.

A un autre point de vue, plus historique, si je puis ainsi dire, ou moins anecdotique, il serait curieux d’y étudier les variations de la morale publique, et c’est encore un peu ce que j’avais espéré de trouver dans le livre de M. Munier-Jolain. Les grands crimes sont toujours les grands crimes; et, en dépit de nos « criminologues, » on aime à croire que, longtemps encore, on les traitera comme des crimes plutôt que comme des maladies, par la prison de préférence aux bromures, et avec plus de sévérité que d’affectueuse indulgence ou de douce pitié. Mais ce qui varie d’un siècle à l’autre, ou plusieurs fois dans un même siècle, c’est le jugement que l’on fait de certaines actions notoirement immorales, et que cependant les lois mêmes, s’accommodant à l’opinion, frappent, selon les temps, avec plus de mollesse ou d’impitoyable dureté. Ce n’est pas encore chez les prédicateurs que l’on peut suivre et relever ces variations à la trace ; ils parlent de trop haut, au nom d’une morale trop pure; c’est déjà chez les moralistes, plus curieux que les prédicateurs et plus malicieux; mais c’est surtout peut-être chez les avocats, mêlés comme ils sont à la vie quotidienne, et généralement attentifs à ne s’écarter de l’opinion qu’autant qu’il le faut pour l’exciter sans la blesser. Une bonne histoire de l’éloquence judiciaire, avec plus de citations que n’en donne M. Munier-Jolain, et des analyses mieux faites, ne laisserait pas, j’imagine, d’être instructive à cet égard, peut-être même divertissante; — à moins pourtant qu’elle ne nous attristât.

Et enfin elle serait utile encore aux avocats, comme une histoire de