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n’est pas plus avancé ! On reste toujours au même point, entre une agitation désordonnée, tumultueuse, menaçante pour la paix, difficile à saisir précisément parce qu’elle est indéfinie, et des pouvoirs surpris dans leur sécurité trompeuse, ébranlés par leurs propres fautes, troublés par le sentiment même de leur impuissance.

Le fait est qu’on en est là, et ce qu’il y a de plus redoutable, c’est justement ce trouble de pouvoirs qui se sentent débordés et menacés sans savoir comment ils se défendront ; c’est l’aveuglement de ceux qui ont eu pendant des années le monopole de la direction de la république et qui, réveillés tout à coup de leur optimisme, ne trouvent rien de mieux que de se payer encore de déclamations, de jactances et de chimères, pour se dispenser de voir le mal dans sa cruelle vérité, pour se dérober à l’aveu de leurs fautes. Eh ! sans doute, on peut dire tout ce qu’on voudra : M. Jules Ferry dans les Vosges, M. Rouvier à Paris, peuvent déployer toute leur éloquence contre le danger plébiscitaire, contre la légèreté remuante et ambitieuse du général en chef de la campagne nouvelle, tout comme M. Floquet peut parler du « manteau troué de la dictature. » On le sait parfaitement, cette fortune de M. le général Boulanger est un des phénomènes les plus extraordinaires, les plus bizarres et les plus inexpliqués d’un temps qui en a cependant vu bien d’autres. Cette popularité n’est qu’un puéril et assez vulgaire fétichisme. L’ancien commandant du 13e corps a été à l’occasion un vaillant soldat comme d’autres, il a eu ses blessures comme d’autres, pas plus que d’autres, il n’a pour lui ni l’éclat d’un commandement heureux, ni l’autorité d’un passé illustré par quelque grande action. On n’a pas de peine à le découvrir, il n’a pas derrière lui Arcole et les Pyramides ! Comme ministre de la guerre, il s’est agité plus qu’il n’a organisé ; il a plutôt désorganisé ce que ses prédécesseurs avaient fait, et c’est tout. Dans ses programmes d’aujourd’hui, il se montre en vérité un politique peu fécond, il ne laisse pas entrevoir une idée sérieuse, — à part la dissolution et la revision, qui sont ses éternels mots d’ordre jetés comme des énigmes à la multitude, et on peut dire qu’il n’est jamais plus habile que lorsqu’il se tait. Évidemment, M. le général Boulanger ne puise ni dans son passé, ni dans ses services, ni dans ses mérites, aucun titre à ces prétentions arrogantes qu’il avoue. Vu de près il n’est rien, et livré à lui-même, il ne serait qu’un ballon bientôt dégonflé ; mais la question n’est pas là. Ce qu’il y a de caractéristique, de digne d’attention, c’est qu’un jour, à la suite ou autour de ce soldat sans gloire, sans supériorité réelle d’esprit, aient pu se rallier et se grouper tous les mécontentemens, tous les malaises, toute » les désillusions, tous les dégoûts accumulés depuis des années. M. le général Boulanger n’est rien ; tout est dans le mouvement dont son nom est le prétexte, et c’est ici que les républicains, au lieu de se borner à combattre l’homme, feraient beaucoup mieux de s’interroger,