Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/234

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de se demander s’ils n’ont pas préparé eux-mêmes cette résurrection irritante des idées de dictature et de césarisme.

Chose curieuse et singulièrement instructive ! Il y a déjà bien des années, sous la république même, il y a eu à l’Elysée un hôte qui, lui aussi, était un militaire. Celui-là n’était pas un soldat sans gloire, briguant la popularité et le pouvoir, et s’il avait éprouvé dans sa vie des malheurs immérités, il avait eu ses journées éclatantes. Il avait conquis sa renommée sur le bastion en feu de Malakof et à Magenta. Il était le complice le plus actif, le plus vigilant de la réorganisation de l’armée, — qui ne date pas d’aujourd’hui, — le gardien sans forfanterie de l’honneur du pays, le représentant respecté de la France devant l’Europe. Placé dans une situation difficile, M. le maréchal de Mac-Mahon pouvait avoir ses idées, et, si l’on veut, ses impatiences. Tant qu’il était au pouvoir, cependant, personne ne le soupçonnait de vouloir se servir de son autorité contre les lois, ou si l’esprit de parti se plaisait un instant à lui attribuer quelque préméditation violente, il faisait aussitôt justice par sa loyauté de tous les bruits injurieux. Sous la présidence de M. le maréchal de Mac-Mahon, on ne voit pas encore une apparence d’un mouvement dictatorial et plébiscitaire. Comment se fait-il donc que depuis, sous d’autres pouvoirs, ces idées se soient si étrangement réveillées et qu’il se trouve aujourd’hui un soldat obscur pour les exploiter, pour en profiter sans plus de scrupule ? Mais d’abord, en vérité, ce prétendant à panache, on l’a fait, on l’a préparé, sans trop savoir apparemment ce qu’on faisait. Ce sont les républicains qui ont découvert M. le général Boulanger, qui ont aidé à sa fortune, en croyant trouver en lui l’épée de leur parti, l’instrument docile de leurs passions ; ce sont les républicains qui n’ont cessé de l’opposer à tous les autres généraux, qui l’ont conduit par la main au ministère de la guerre et qui ont tout fait pour l’y maintenir. Il y a un an à peine, M. Floquet, aujourd’hui président du conseil, M. de Freycinet, maintenant ministre de la guerre civil, refusaient le pouvoir parce qu’ils ne pouvaient garder la collaboration de M. le général Boulanger dans la direction de l’armée, parce qu’ils croyaient avoir besoin de sa popularité. M. le ministre des affaires étrangères Goblet, alors chef du cabinet, était en intelligence intime avec son collègue de la guerre. Ils l’ont presque tous soutenu, ils le connaissaient bien : de quoi se plaignent-ils ?

Et puis les républicains ont malheureusement mieux fait encore. Cette situation troublée, d’où jaillit en quelque sorte l’idée de dictature et de plébiscite, c’est par eux qu’elle a été créée. Qu’ils l’aient compris ou qu’ils ne l’aient pas compris, ils y travaillent depuis dix ans, par leurs imprévoyances, par leurs passions de parti et de secte, par leurs défaillances devant les tyrannies croissantes du radicalisme. C’est leur politique qui, en abusant des ressources nationales jusqu’à