Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/308

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
302
REVUE DES DEUX MONDES.

air grave, tu me diras où est ma mère et où je trouverai le grand vieillard qui m’a parlé sous les cèdres du mont Mérou.

— Ta mère ? dit Nysoumba avec un sourire dédaigneux, ce n’est certes pas moi qui te l’apprendrai ; quant à ton vieillard, je ne le connais pas. Insensé ! tu poursuis des songes et tu ne vois pas les trésors de la terre que je t’offre. Il y a des rois qui portent la couronne et qui ne sont pas des rois. Il y a des fils de pâtres qui portent la royauté sur leur front et qui ne connaissent pas leur force. Tu es fort, tu es jeune, tu es beau ; les cœurs sont à toi. Tue le roi dans son sommeil et je mettrai la couronne sur ta tête, et tu seras le maître du monde. Car je t’aime et tu m’es prédestiné. Je le veux, je l’ordonne !

En parlant ainsi, la reine s’était soulevée impérieuse, fascinante, terrible comme un beau serpent. Dressée sur sa couche, elle lança de ses yeux noirs un jet de flamme si sombre dans les yeux limpides de Krishna, qu’il frémit épouvanté. Dans ce regard, l’enfer lui apparut. Il vit le gouffre du temple de Kali, déesse du Désir et de la Mort, et des serpens qui s’y tordaient comme dans une agonie éternelle. Alors, soudainement, les yeux de Krishna parurent comme deux glaives. Ils transpercèrent la reine de part en part, et le héros du mont Mérou s’écria :

— Je suis fidèle au roi qui m’a pris pour défenseur ; mais toi, sache que tu mourras !

Nysoumba poussa un cri perçant et roula sur sa couche en mordant la pourpre. Toute sa jeunesse factice s’était évanouie ; elle était redevenue vieille et ridée. Krishna, la laissant à sa colère, sortit.

Persécuté nuit et jour par les paroles de l’anachorète, le roi de Madoura dit à son conducteur de char :

— Depuis que l’ennemi a mis le pied dans mon palais, je ne dors plus en paix sur mon trône. Un magicien infernal du nom de Vasichta, qui vit dans une forêt profonde, est venu me jeter sa malédiction. Depuis, je ne respire plus ; le vieillard a empoisonné mes jours. Mais avec toi qui ne crains rien, je ne le crains pas. Viens avec moi dans la forêt maudite. Un espion qui connaît tous les sentiers nous conduira jusqu’à lui. Dès que tu le verras, cours à lui et frappe-le sans qu’il ait pu dire une parole ou te lancer un regard. Quand il sera blessé mortellement, demande-lui où est le fils de ma sœur, Dévaki, et quel est son nom. La paix de mon royaume dépend de ce mystère.

— Sois tranquille, répondit Krishna, je n’ai pas eu peur de Kalayéni ni du serpent de Kali. Qui pourrait me faire trembler maintenant ? Si puissant que soit cet homme, je saurai ce qu’il te cache.