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— Mais, demanda Ardjouna, quel est le sort de l’âme après la mort ? Obéit-elle toujours à la même loi ou peut-elle lui échapper ?

— Elle ne lui échappe jamais et lui obéit toujours, répondit Krishna. C’est ici le mystère des renaissances. Comme les profondeurs du ciel s’ouvrent aux rayons des étoiles, ainsi les profondeurs de la vie s’éclairent à la lumière de cette vérité. « Quand le corps est dissous, lorsque Satwa (la sagesse) a le dessus, l’âme s’envole dans les régions de ces êtres purs qui ont la connaissance du Très-Haut. Quand le corps éprouve cette dissolution pendant que Raja (la passion) domine, l’âme vient de nouveau habiter parmi ceux qui se sont attachés aux choses de la terre. De même, si le corps est détruit quand Tama (l’ignorance) prédomine, l’âme obscurcie par la matière est de nouveau attirée par quelque matrice d’êtres irraisonnables[1].

— Cela est juste, dit Ardjouna. Mais apprends-nous maintenant ce qui advient, dans le cours des siècles, de ceux qui ont suivi la sagesse et qui vont habiter après leur mort dans les mondes divins.

— L’homme surpris par la mort dans la dévotion, répondit Krishna, après avoir joui pendant plusieurs siècles des récompenses dues à ses vertus dans les régions supérieures, revient enfin de nouveau habiter un corps dans une famille sainte et respectable. Mais cette sorte de régénération dans cette vie est très difficile à obtenir. L’homme ainsi né de nouveau se trouve avec le même degré d’application et d’avancement, quant à l’entendement qu’il avait dans son premier corps, et il commence de nouveau à travailler pour se perfectionner en dévotion[2].

— Ainsi, dit Ardjouna, même les bons sont forcés de renaître et de recommencer la vie du corps ! Mais apprends-nous, ô seigneur de la vie ! si pour celui qui poursuit la sagesse, il n’est point de fin aux renaissances éternelles ?

— Écoutez donc, dit Krishna, un très grand et très profond secret, le mystère souverain, sublime et pur. Pour parvenir à la perfection, il faut conquérir la science de l’unité, qui est au-dessus de la sagesse ; il faut s’élever à l’être divin qui est au-dessus de l’âme, au-dessus même de l’intelligence. Or cet être divin, cet ami sublime, est en chacun de nous. Car Dieu réside dans l’intérieur de tout homme, mais peu savent le trouver. Or voici le chemin du salut. Une fois que tu auras aperçu l’être parfait qui est au-dessus du monde et en toi-même, détermine-toi à abandonner l’ennemi qui prend la forme du désir. Domptez vos passions. Les jouissances que procu-

  1. Ibid., liv. xiv.
  2. Ibid., liv. v.