Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/320

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
314
REVUE DES DEUX MONDES.

juré de te mener au roi avec des chaînes de fer ; mais il nous est impossible de le faire, puisque tu nous as délivrés des nôtres.

Ils s’en retournèrent auprès de Kansa et lui dirent :

— Nous ne pouvons t’amener cet homme. C’est un trop grand prophète, et tu n’as rien à craindre de lui.

Le roi, voyant que tout était inutile, fit tripler ses gardes et mettre des chaînes de fer à toutes les portes de son palais. Un jour cependant, il entendit un grand bruit dans la ville, des cris de joie et de triomphe. Les gardes vinrent lui dire : « C’est Krishna qui entre dans Madoura. Le peuple enfonce les portes, il brise les chaînes de fer. » Kansa voulut s’enfuir. Les gardes mêmes l’obligèrent à rester sur son trône.

En effet, Krishna, suivi de ses disciples et d’un grand nombre d’anachorètes, faisait son entrée dans Madoura, pavoisée d’étendards, au milieu d’une multitude entassée d’hommes qui ressemblait à une mer agitée par le vent. Il entrait sous une pluie de guirlandes et de fleurs. Tous l’acclamaient. Devant les temples, les brahmanes se tenaient groupés sous les bananiers sacrés pour saluer le fils de Dévaki, le vainqueur du serpent, le héros du mont Mérou, mais surtout le divin prophète de Vishnou. Suivi d’un brillant cortège et salué comme un libérateur par le peuple et les kchatryas, Krishna se présenta devant le roi et la reine.

— Tu n’as régné que par la violence et le mal, dit Krishna à Kansa, et tu as mérité mille morts, parce que tu as tué le saint vieillard Vasichta. Pourtant tu ne mourras pas encore. Je veux prouver au monde que ce n’est pas en les tuant qu’on triomphe de ses ennemis vaincus, mais en leur pardonnant.

— Mauvais magicien ! dit Kansa, tu m’as volé ma couronne et mon royaume. Achève-moi.

— Tu parles comme un insensé, dit Krishna. Car, si tu mourais dans ton état de déraison, d’endurcissement et de crime, tu serais irrévocablement perdu dans l’autre vie. Si, au contraire, tu commences à comprendre ta folie et à te repentir dans celle-ci, ton châtiment sera moindre dans l’autre, et, par l’entremise des purs esprits, Mahadéva te sauvera un jour.

Nysoumba, penchée à l’oreille du roi, murmura :

— Insensé ! profite de la folie de son orgueil. Tant qu’on est vivant, il reste l’espoir de la vengeance.

Krishna comprit ce qu’elle avait dit sans l’avoir entendu. Il lui jeta un regard sévère, de pitié pénétrante :

— Ah ! malheureuse ! toujours ton poison. Corruptrice, magicienne noire, tu n’as plus dans ton cœur que le venin des serpens. Extirpe-le, ou un jour je serai forcé d’écraser ta tête. Et