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en reste presque ineffaçable. Ainsi devra-t-on s’attacher à des sujets qui sans cesse appellent la comparaison, comme puissant moyen de donner à la pensée une rigueur, une justesse dont l’effet est prodigieux dans tous les actes de la vie. Tout ce qui est acquis par l’observation directe et par l’expérience vit en la mémoire d’une autre manière que ce qui est fourni par de simples récits ou par des images fugitives. Tout arrive par l’intermédiaire des sens, et chez l’individu tous les sens ne rendent pas un office d’égale valeur. Dans l’instruction, on est loin encore aujourd’hui de tirer grand profit du sens de la vue, le sens qui permet d’acquérir le plus de notions positives; le sens qui transmet les impressions dont on garde plus particulièrement le souvenir. Il est ordinaire d’entendre des personnes fort indifférentes à tous les genres d’instruction s’écrier : « Je me rappelle bien cette rivière, ce monument, cet arbre; je les voyais dans mon enfance, toujours je les vois ; ou bien encore, c’est un événement qui s’est passé sous mes yeux, il y a trente, quarante ans ; pour moi, c’est comme si c’était hier.» Une fois aura suffi, si l’esprit a été frappé avec énergie. Autrement, pour que l’impression soit durable, il faudra qu’une attention assidue se soit longtemps exercée. Ces personnes qui se flattent d’avoir conservé une vision nette d’objets qui attiraient leurs regards à une époque éloignée ajouteront : « J’ai connu ces choses autrefois, j’en ai souvent entendu parler; mais je les ai oubliées, je n’en ai gardé qu’un souvenir extrêmement vague. » De tels récits sont de chaque jour, et, chose merveilleuse, on n’en tire aucun enseignement. Dans l’instruction, qu’on appelle donc tout d’abord le service des yeux, sans négliger le service des oreilles.

Nulle connaissance sérieuse ne s’acquérant qu’à la peine, il convient de bien apprécier l’étendue moyenne d’application que les individus possèdent à un degré si variable. Mais il est certainement plus essentiel encore de s’inquiéter des circonstances où la notion des faits pourra pénétrer avec le moins d’effort. Chez les enfans, l’immobilité pendant les cours est en général fort pénible ; il y a un besoin de mouvement qui empêche l’esprit de se fixer longtemps sur un sujet. N’arrive-t-il pas, même chez le jeune homme résolu à se livrer à un travail d’esprit et dominé par une forte volonté, que l’application soutenue amène encore la fatigue et jusqu’au trouble de la pensée? Ce n’est pas à contrarier le tempérament des élèves qu’il est permis d’espérer le plus grand succès dans les études. On ne saurait trop le répéter : dans les occasions où il est permis de débarrasser les enfans de toute contrainte, il faut les instruire en éveillant leur intérêt, en charmant leur esprit, en suscitant leur admiration. Que les leçons porteront alors de meilleurs fruits !