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avides de miel. Au milieu du bourdonnement des insectes, on parlera du caractère et du rôle de ces types de la végétation. Parmi les débris d’une masure abandonnée, on remarquera les magnifiques grappes de fleurs empourprées qu’on nomme les gueules-de-loup[1] et tout à côté les gypsophiles aux délicates fleurs blanches, aux tiges fines et raides. Qui ne connaît les gypsophiles cultivés des jardins, dont on fait aux bouquets une tunique si simple et si vaporeuse qu’elle rehausse l’éclat des roses et des œillets[2] ? En considérant les plantes qui sont la parure des vieilles murailles, ce sera peut-être l’heure d’expliquer comment chaque végétal réclame pour son existence et pour son développement un terrain spécial : à l’un le plâtre, les élémens calcaires, à l’autre l’argile, les matériaux siliceux. Là s’étendent les champs de trèfle et de luzerne tout fleuris que hantent les papillons bleus ; c’est Irais, c’est gai, c’est joli. Ce sont des plantes légumineuses qui font d’excellent fourrage; les bêtes à l’étable qui le consomment en hiver s’en délectent. Sur les corolles des trèfles, les abeilles sont en multitude ; elles pompent le miel avec une ardeur plaisante à observer. Les laborieux insectes obéissent à un instinct qui est la prévoyance. Il y a dans la nature des jours de fête qui ne se renouvellent pas en la même saison. Aujourd’hui, pour certains êtres, c’est la fortune ; demain, c’est la misère. Pour les abeilles, en ce moment sur ces fleurs si fraîches, la récolte est facile ; bientôt les fleurs seront fanées ; il n’y a donc pas en ces beaux jours un instant à perdre. Justement, voilà qu’au détour de la route se dresse une maisonnette, de jeunes enfans se promènent aux alentours de la route, mordant à belles dents dans une tartine de miel. Dans le jardin, de quelques mètres de superficie, il y a deux ou trois ruches ; les abeilles qu’on a vues butinant sur les trèfles et les luzernes apportent les provisions. À ce spectacle s’ouvrent les yeux des écoliers ; à la description des instrumens si parfaits dont disposent les abeilles pour exécuter leurs admirables travaux, les oreilles sont tendues; à la narration simple et précise de la vie des insectes qui comptent parmi les plus extraordinaires ; à l’exposé des avantages que procure à de pauvres paysans la possession de quelques ruches, l’esprit est émerveillé. Resteront le sentiment d’un grand fait de la nature et la pensée d’une question économique, petite dans le détail, considérable par sa faculté d’expansion. Il n’en faut pas douter, une telle leçon laissera un sentiment durable dans la plupart des jeunes têtes.

  1. Antirrhinum majus (famille des Labiées).
  2. Le gypsophile des murailles est de la même famille que la saponaire et les œillets (cariophyllées).