Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/348

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’assurer la direction de la vie et l’accoutumer aux raisonnemens sur des choses où l’on parvient à dégager la vérité, à démontrer l’erreur, à peser la valeur des probabilités?

Suivant toute apparence, l’étranger s’étonnerait en songeant qu’on offre aux méditations de la jeunesse des collèges des idées de rêveur, des systèmes bizarres, propres à troubler les cerveaux les mieux équilibrés et à pervertir la raison. Il contredirait à la pensée d’inculquer le goût de la dispute, même de la chicane, sans souci de la vérité; mais avec le désir de dominer son interlocuteur ou un adversaire par une accumulation de sophismes. La philosophie qu’on enseigne dans les lycées est la survivance d’un autre âge, un reste des vieux erremens scolastiques. Aujourd’hui, comme autrefois, on se préoccupe d’idées qui ont surgi dans la tête d’un homme souvent en opposition avec celles qui ont pris naissance dans l’esprit d’un autre homme. Les sages, les vrais philosophes diront quelle force de très jeunes gens tirent de dissertations sur le système de Kant, sur la doctrine de Spinoza, plus encore sur des sujets qui échappent à toute détermination rigoureuse. Aussi est-il assez ordinaire d’entendre des élèves de philosophie se plaindre de la fatigue causée par de stériles efforts pour comprendre certaines questions bien étranges, et de les voir n’aspirant qu’à l’heure de la délivrance. Parfois, durant le cours de l’année, les professeurs changent : ce ne sont plus les mêmes opinions, ce ne sont plus les mêmes interprétations, et alors les pauvres jeunes gens se sentent perdus dans un océan de nuages.

Lorsque se révélèrent les penseurs du XVIIe siècle, ils excitèrent un engouement justifié : ils promettaient de conduire à la démonstration de toute vérité. Précédés par des naturalistes et des anatomistes du XVIe siècle dans l’idée d’un abandon des vieilles traditions et d’un recours constant à l’observation et à l’expérience, François Bacon prescrivait la recherche scientifique; Descartes, déclarant vouloir « toujours pencher du côté de la défiance plutôt que de la présomption, » en appelait au libre examen et à la raison. La voie semblait tracée pour donner un puissant essor aux plus hautes et aux plus nobles facultés humaines. De nos jours on s’aperçoit que les tendances, que les aspirations, que les intérêts sociaux du XVIIe et du XVIIIe siècle sont d’une autre époque. Au déclin du XIXe siècle, toutes les connaissances acquises, toutes les lumières accumulées, tous les progrès réalisés ont produit un état de la civilisation absolument différent des états antérieurs. Il importe donc, pour l’avenir du pays, de ne point engager en pure perte la jeunesse dans des débats d’un autre âge, mais à la préparer à bien figurer dans une société où tant de choses se perfectionnent et se transforment. Certes, tant