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a modifiées, mais qui gardent certaines aptitudes géniales, se sentiront différentes d’autres âmes chrétiennes, et connaîtront une patrie terrestre, qui sera l’Allemagne. En attendant, la Germanie prenait place dans l’empire spirituel (ne l’évêque de Rome s’efforçait de substituer à l’empire des césars.

Seulement la Germanie n’est pas tout entière conquise; la Saxe n’a pas même été entamée; la Frise a donné le martyre à Boniface; la Hesse et la Thuringe sont chrétiennes d’hier. Les églises nouvelles vivent misérablement, et redoutent le retour offensif de Satan, si proche encore qu’on le voit rôder et qu’on l’entend hurler. L’empire spirituel n’est qu’ébauché. Les fragmens en sont disséminés en Italie, en Angleterre, en Germanie. Boniface a essayé de les souder les uns aux autres, en pliant sous la loi romaine l’église de Gaule, mais il n’a point achevé son œuvre : la soudure peut se détacher et choir. Et le pape est inquiet dans sa capitale; la querelle avec Constantinople dure toujours ; toujours les Lombards menacent; Rome a des factions et la campagne romaine des brigands. Tout est incertain, incohérent, désordonné. Personne ne voyait l’avenir.

L’avenir a été pour longtemps fixé par l’alliance intime des Francs et de la papauté. Cette alliance a décidé du sort de la Germanie et de l’Europe. Étudions, comme ii mérite de l’être, ce fait capital, cause de tant d’autres faits de si grande importance.


I.

Les Carolingiens, alors même qu’ils n’auraient pas conclu avec les papes un « pacte d’amour, » seraient entrés dans le sanctuaire plus avant que les princes de la première race. Les Mérovingiens avaient été rois de petits royaumes ; l’horizon de chacun d’eux était restreint. Ce fut par accident qu’un seul prince réunit de loin en loin toute la monarchie. Les Carolingiens, au contraire, ont conquis un vaste empire, qui, jusqu’à la seconde moitié du IXe siècle, a été rarement partagé. Pourtant, le roi carolingien n’a point prétendu imposer des lois uniformes. à tous ces hommes de pays divers, Francs ripuaires ou saliens, Burgondes, Alamans, Bavarois, Saxons, Goths, Lombards et Romains. Il les a laissés vivre, chacun selon sa loi ; mais il les a tous soumis à sa justice et requis pour sa guerre. De quel droit et par quel moyen? Du droit et par le moyen de la force, sans doute ; mais cet étai ne porte pas longtemps un empire. Il n’est pas de gouvernement qui puisse se passer d’une raison d’être. Attila conduisait ses peuples au pillage du monde;