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fils d’iniquité ; » mais quelle aide attendre de l’empereur ? Le pape, d’ailleurs, ne se souciait pas de restaurer la domination impériale. Heureusement « la grâce divine » intervint : elle lui suggéra l’idée de se rendre auprès du roi des Francs. En grand secret, il pria Pépin de l’envoyer quérir par des ambassadeurs. Il savait que les Francs seuls étaient capables de lui donner une armée. Il espérait qu’ils ne la lui refuseraient pas, s’il allait la demander lui-même ; car un voyage au-delà des monts du successeur de Pierre était une démarche grande et inusitée. Bientôt arriva de Constantinople un ambassadeur, le silentiaire Jean. Il apportait au pape, pour tout subside, l’ordre d’aller sommer dans Pavie le roi Astaulf de restituer ses conquêtes. L’empereur, qui traitait ainsi le pape comme un sujet et le roi lombard comme un vassal, n’entendait plus rien à la politique de l’Occident. Étienne fit ses préparatifs, mais non pour un simple voyage à Pavie. Le 14 octobre 753, une grande foule l’accompagna hors de la ville. Étienne recommanda ses brebis au bon pasteur Pierre. Avec lui marchaient des évêques et des prêtres romains, les chefs de la milice romaine, le silentiaire impérial et deux envoyés francs, arrivés au moment du départ. Dans ce cortège étrange, d’invisibles personnages chevauchaient aux côtés du pape. C’étaient, avec le silentiaire, Justinien, Constantin, Théodose, Auguste, César, tout le passé ; avec les Francs, Charlemagne, Othon, Barberousse, un long avenir. Le pape et sa suite savaient-ils jusqu’où ils allaient, vers quelles destinées ils conduisaient l’humanité, pour combien de siècles ils allaient disposer de l’histoire ? Ils remarquèrent que Dieu veillait sur eux et leur donnait « la sérénité du ciel. » Une nuit, ils virent passer un globe de feu qui venait du pays des Francs et s’abattit sur la terre des Lombards.

Avant de recevoir le pape dans Pavie, Astaulf voulut lui faire promettre « de ne parler d’aucune restitution, quelle qu’elle fût. » Étienne répondit qu’aucune puissance ne pouvait lui fermer la bouche. Il parla donc, et beaucoup, toujours pleurant et gémissant, mais en vain. Le silentiaire n’eut pas meilleur succès: les lettres impériales furent écoutées avec indifférence. Alors les Francs entrent en scène : ils demandent au roi, pour le pape, la permission de passer en Gaule. Astaulf interroge Étienne : Est-il vrai que Sa Béatitude veuille franchir la montagne ? Étienne avoue son intention. Le Lombard « grince des dents comme un lion, » mais il laisse partir le pape. Il est vrai que les Francs avaient « insisté avec force. »

Les grands de Rome et le silentiaire retournèrent vers la Ville. Étienne se remit en route le 14 novembre, accompagné par les