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et les honneurs impériaux, son palais de Latran, son diadème, le bonnet phrygien, le superhuméral, la chlamyde de pourpre, la tunique écarlate et tous les vêtemens impériaux, le sceptre impérial, tous les insignes et ornemens, toute la pompe de la sublimité impériale. Il prend sur sa propre tête, pour la donner à Silvestre, sa couronne d’or pur et de pierres précieuses. Il veut que la cour pontificale ait des chambellans, des portiers, des gardes et tous les offices qui rehaussent la puissance impériale. Quant au clergé de la ville, il brillera de la même gloire que le sénat amplissime : les prêtres romains porteront sandale blanche, comme les sénateurs, et leurs chevaux couverture blanche. Le clergé des provinces sera paré des mêmes dignités que la milice des officiers impériaux. Constantin ne se contente pas d’assurer au chef et aux membres de l’église des honneurs égaux à ceux du chef et des membres de l’empire. Il déclare que le siège du bienheureux Pierre « doit être élevé au-dessus du trône terrestre. « Pour témoigner sa révérence envers l’apôtre, il a tenu la bride du cheval de Silvestre, et fait l’office d’écuyer pontifical. Dans le partage du pouvoir, il s’est réservé le moindre lot, car l’autorité spirituelle du pape s’étend sur tout l’univers, et l’empereur lui a cédé la moitié du monde temporel : « Nous lui avons donné avec notre palais la ville de Rome, et les lieux et cités de l’Italie et de l’Occident. »

Les documens faux sont précieux. Ils nous apprennent, mieux que des faits, des intentions qui éclairent parfois toute l’histoire. Quel chemin l’église a parcouru de l’évangile à la fausse donation ! Le Christ avait enseigné une sorte de respect pour les pouvoirs établis, qui procédait à la fois de l’obéissance envers Dieu, source de toute autorité, et d’une indifférence sublime pour un gouvernement dont les fins étaient temporelles. Les premiers chrétiens avaient servi l’empire en le dédaignant, ou bien étaient morts pour ne pas se soumettre à ses lois. Les polémistes, les grands écrivains, les grands prédicateurs éprouvaient à l’égard de Rome des sentimens étranges. L’œuvre romaine leur paraissait à la fois divine et infernale. Dieu avait donné à la Ville la grandeur, mais les prophètes en avaient annoncé la ruine. Rome avait préparé la propagation de la vérité chrétienne par la conquête du monde, mais elle s’était enivrée du sang des martyrs. Tertullien, Jérôme, Augustin, hésitent entre l’admiration et l’horreur. Le premier prédit la catastrophe avec des accens de joie furieuse. Les deux autres, sans s’étonner, ont vu « prendre celle qui a pris l’univers. » Cependant, si hardis que soient ces grands esprits, ils ne peuvent se figurer le monde sans l’empire. La masse des chrétiens croit que, tant vivra César, tant vivront les hommes. Elle fait à l’éternité romaine la charité