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C’est pourquoi il se dérobait, faisait traiter ses affaires par ses ambassadeurs, temporisait et laissait couler le temps.

Le pape est tout déconcerté. Il n’avait pas souhaité que les Francs prissent pied en Italie. C’est une chose remarquable que son prédécesseur n’ait pas invité Pépin à venir à Rome : le roi des Francs avait passé deux lois les monts sans aller visiter le seuil des apôtres. Hadrien non plus n’avait pas invité Charles en 774. Il apprit son approche avec stupeur, cum magno stupore et extasi. Il aimait les Francs, mais au-delà des monts. Quand l’Italie était disputée entre les Grecs et les Lombards, faibles après tout les uns et les autres, il y pouvait pousser sa fortune, grâce à l’appui d’une nation forte, mais éloignée, et pièce à pièce conquérir les droits cédés à Silvestre par Constantin. A présent le Moïse, le David est établi à demeure au-dessus de sa tête. Contre lui, plus de recours sur terre, ni même auprès de Dieu, qui lui a procuré la victoire « par l’intercession de son prince des apôtres. » Hadrien a confessé sa déception. Un jour il rapporte à Charlemagne un propos qu’il attribue à des ennemis du saint-siège : « La nation des Lombards a été détruite et remplacée par celle des Francs. Vous voilà bien avancés.» Assurément le pape s’est tenu ce langage à lui-même; il s’est demandé s’il avait bien fait d’appeler entre les deux plaideurs, les Lombards et lui, un juge si vigoureux et de si bel appétit.

Dans les dernières années du pontificat, l’accord est rétabli. De temps à autre, un écho des prétentions d’autrefois se fait entendre, ou bien le pape se laisse aller à quelque accès de mauvaise humeur. Il a sollicité le roi de lui fournir deux mille livres d’étain et du bois des forêts spolétines, pour refaire le toit de Saint-Pierre. Charlemagne a promis, puis oublié. Hadrien lui rappelle sa prière avec aigreur. Une autre fois, le roi a envoyé une paire de chevaux en présent, mais l’un est mort en route et le survivant n’a pas bonne mine : « Pour l’amour que nous professons envers vous et envers votre royaume éclatant, écrit le pontife, envoyez-nous de bons chevaux, des chevaux fameux, famosos equos, bien en os et bien en chair. Pour cela vous recevrez, comme vous y êtes accoutumé, une digne récompense de l’apôtre de Dieu ; et, comme vous régnez en ce monde, vous obtiendrez la vie éternelle dans les citadelles éthérées. » Ce sont là des peccadilles. Le pape se tient désormais pour content, si le roi ne le trouble pas dans l’exercice de ses droits sur les territoires et cités qui lui appartiennent sans conteste. Depuis l’année 781, où il a baptisé un fils de Charles, il est et se dit son compère. Les paroles d’alliance sont répétées, toutes pleines d’une douceur angélique : « Ce que vous apportez au bienheureux apôtre Pierre, portier du