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manufacturières, où l’existence des populations est plus artificielle que dans les autres.

La vie industrielle est moins intense chez nous que dans les pays de fabrique, comme l’Angleterre et la Belgique, et la concentration qui en résulte est également moins prononcée. Malgré le mouvement fatal qui entraîne les paysans vers les villes, ils représentent encore les trois cinquièmes de la population du pays. Toutefois, le nombre des ouvriers vu toujours grandissant. D’après le recensement de 1881, on en comptait 258,000 dans le département du Rhône, 228,000 dans la Loire et 1,347,276 dans la Seine. Ce chiffre effrayant représente le septième de la population industrielle de la France tout entière. Il explique l’encombrement des quartiers excentriques, la difficulté que les ouvriers trouvent à s’y loger et le prix excessif des loyers qu’on leur impose.

Dans une étude précédente[1], j’ai passé en revue les différentes catégories d’habitations dans lesquelles la nécessité les contraint à chercher un abri; j’ai fait le tableau de ces cités-casernes qui renferment la population d’une petite ville, comme la cité Jeanne-d’Arc, avec ses 2,486 habitans; j’ai conduit le lecteur dans ces bouges, où grouille une population misérable et suspecte, dans ces cloaques, comme le clos Macquart, où campait alors un groupe de 300 chiffonniers semblables à ceux qui ont fait la réputation de la cité des Kroumirs. J’ai dépeint l’encombrement des garnis, l’entassement qui s’y produit lorsque de grands travaux publics font affluer à Paris les ouvriers des départemens voisins ; mais, quelque sombre que soit ce tableau, il n’approche pas encore de celui que présentent quelques-unes des capitales de l’Europe. Londres a acquis à cet égard une triste célébrité, et, malgré les efforts qu’on y a faits récemment pour améliorer la situation, elle est encore plus fâcheuse que chez nous. La misère y revêt un caractère plus hideux qu’ailleurs, et cela se comprend. C’est l’agglomération humaine la plus considérable qu’il y art sur le globe. La population augmente chaque année de 70,000 âmes, et l’entassement devient effrayant dans les quartiers habités par les malheureux. Rien n’égale l’aspect sinistre de ces impasses où les maisons se touchent presque, où l’air ne pénètre jamais. Une atmosphère méphitique, une odeur de moisi et d’humidité se dégage de ces maisons petites et basses, où les ordures s’amoncellent sur les escaliers pourris. Qu’il fasse sec ou qu’il pleuve, le sol est toujours boueux. Une sorte de buée s’échappe de ces ruelles infectes, sur lesquelles pèse le ciel bas et sombre qui est celui du pays.

La malpropreté sordide de ces logemens, où les générations successives

  1. L’Hygiène des villes et les Budgets municipaux. (Revue du 1er février 1887.)