Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/402

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’entassement est à son comble. Berlin est la capitale de l’Europe dont la population s’est le plus rapidement accrue. En 1840, elle ne comptait que 300,000 habitans ; elle en renferme aujourd’hui 1,300,000. C’est une progression annuelle de 4 pour 100, qui dépasse de beaucoup celle de Londres et de Paris. Il n’y a pas la moitié de cette population qui soit née à Berlin. L’accroissement est le résultat de l’immigration constante que stimulent la concentration des grandes administrations de l’état, le développement du commerce et de l’industrie. L’activité des constructions n’a pas été en rapport avec cette affluence. La population de Berlin est à peu près égale à la moitié de celle de Paris, et le nombre des maisons qu’on y élève chaque année est huit fois moindre. En 1883, on n’en a bâti que 306, tandis que, cette année-là, l’Annuaire de la ville de Paris indique 2,501 constructions nouvelles. En ce moment, il n’y a à Berlin que 2 pour 100 des logemens qui soient vacans. La densité de la population y est deux fois plus grande qu’à Paris. On y compte 66 personnes par immeuble, tandis qu’on en trouve moins de 30 à Paris. Les demeures souterraines ont presque complètement disparu chez nous, tandis qu’à Berlin 100,000 personnes habitent dans 23,000 caves.

La pénurie des logemens y devient parfois si pressante, que le gouvernement est obligé de recourir à des expédiens qui n’ont cours qu’en Prusse. En 1856, on a ouvert la caserne Witting, pour recevoir 800 familles. En 1873, 163 familles vinrent camper hors de la porte de Cottbus et s’y construisirent des cabanes en planches. Je ne parle pas de la malpropreté et de l’insalubrité des logemens dans lesquels grouille toute cette population malheureuse ; il faudrait reproduire ce que j’ai dit à propos de Londres. Je relèverai toutefois un fait qui me semble caractéristique, c’est qu’une partie considérable de la population de Berlin demeure dans des chambres qu’on ne peut chauffer. Ce détail est significatif dans une ville située par 52° 31′ de latitude, et où la température moyenne de l’année ne dépasse pas 9 degrés.

Je pourrais continuer cette triste revue et montrer que, dans toutes les capitales de l’Europe, les choses sont à peu près dans le même état, et que les grandes villes d’Amérique elles-mêmes offrent un spectacle semblable, malgré leur construction récente, leur expansion que rien n’a pu gêner et l’admirable prospérité du pays neuf au milieu duquel elles s’élèvent ; mais j’en ai dit assez pour démontrer les deux choses que je tenais à établir en commençant : la première, c’est que la France n’est pas le pays où les ouvriers sont le plus à plaindre, et la seconde, c’est que le problème du logement à bon marché est un de ceux qui s’imposent avec le plus d’autorité à la sollicitude des économistes.