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Sous quelque aspect qu’on l’envisage, dit M. Picot, on sent que le problème des logemens est le nœud de la question sociale[1]. Aucun bon sentiment ne peut germer dans un bouge semblable à ceux dont je viens de parler. L’esprit de famille s’y perd. L’ouvrier n’y entre qu’avec dégoût et le quitte le plus tôt qu’il peut pour se rendre au cabaret, où il oublie sa misère. La femme et les enfans le désertent également, ou s’y étiolent dans la promiscuité de l’infection et du vice, car le vice et le crime se réfugient également dans les bouges empestés, dans les ruelles sales et sombres. Ils y croissent comme les champignons sur le fumier. La paresse et l’ivrognerie s’y développent avec eux et complètent le cercle hideux dans lequel la famille du travailleur se trouve si souvent enfermée.

Ce ne sont pas seulement les classes pauvres que menace cet état de choses; il compromet la santé et la sécurité de tout le monde. Les épidémies qui naissent dans ces cours des miracles en sortent pour se répandre sur la ville tout entière, affirmant la solidarité étroite qui en réunit tous les habitans, et les souffrances qu’on y endure s’en exhalent sous forme de malédictions et de menaces. « Ce n’est pas seulement de la vertu, dit le docteur Du Mesnil, c’est de l’héroïsme qu’il faudrait à tout le monde, pour ne pas contracter, dans ces bouges, la haine de la société. » L’ouvrier laborieux et honnête, sentant qu’il ne peut soustraire sa famille aux influences d’un pareil milieu, se révolte contre un état social dont il se croit la victime, et l’explosion de ces haines farouches n’est plus qu’une affaire de circonstances.

« J’ai étudié, disait Blanqui, avec une religieuse sollicitude, la vie privée des familles d’ouvriers, et j’ose affirmer que l’insalubrité de l’habitation est le point de départ de toutes les misères, de tous les vices, de toutes les calamités de leur état social. Il n’y a pas de réforme qui mérite à un plus haut degré l’attention et le dévoûment des amis de l’humanité. »

Après avoir montré toute l’étendue du mal, je vais parler maintenant des efforts qu’on a faits, depuis quelques années, pour le réparer.


II.

Le mouvement qui s’est produit en Europe, en faveur de la création de logemens pour les ouvriers, est parti de l’Angleterre. Le prince Albert en avait pris la direction dès 1841; mais, à cette époque,

  1. Un devoir social et les logemens d’ouvriers, par M. George Picot. Paris.