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dispendieux qu’un appartement de même étendue dans une maison de rapport, de même il sera toujours plus facile de loger les familles ouvrières dans des habitations collectives que dans des maisonnettes séparées. Il y a un juste milieu à tenir entre ce luxe d’isolement et la promiscuité immorale et malsaine des cités-casernes, où tout est, pour ainsi dire, en commun. On peut, comme on l’a fait à Rouen et à Lyon, séparer les appartemens, même dans de grands édifices, donner à chaque famille son accès particulier sur la voie publique, ses dépendances à elle, tout en dépensant beaucoup moins pour les frais de construction et pour l’achat du terrain.

A Paris, une spéculation semblable pourrait assurément réussir. Les ouvriers paient très cher leurs détestables logemens, et sont indignement exploités par les propriétaires ou par leurs agens. J’ai dit que la plus misérable chambre leur était louée 150 francs par an. Dans le voisinage des fabriques, il y en a qui montent à 200 et 220 francs. La séparation des sexes ne peut avoir lieu dans aucun de ces logemens. Elle n’est possible qu’avec trois chambres, et un pareil appartement constitue un luxe fort rare dans la classe ouvrière, car il coûte partout plus de 300 francs. Pour acquitter un loyer aussi cher, il faut gagner de 7 à 8 francs par jour. Dans les bouges qu’on loue à la nuit, le prix varie de 0 fr. 45 à 1 franc, ce qui fait que chacun de ces réduits infects rapporte de 168 à 365 francs par an. Entre le garni où le logeur fournit une sorte de lit, une chaise et un débris de commode, et la pièce toute nue où l’ouvrier apporte ses meubles, la différence, comme prix et comme dimension, est presque nulle.

Les ouvriers pourraient être beaucoup mieux logés, sans payer davantage, s’ils n’étaient pas aussi indignement exploités. En général, les propriétaires se font remplacer, pour la gestion de leurs immeubles, par le principal locataire, qui se fait payer à la semaine. Il y a des cités qui rapportent de 20 à 25 pour 100 de ce qu’elles ont coûté. Sauf les côtés répugnans du métier, dit M. Cheysson, il est plus avantageux de loger les misérables que les grands seigneurs. La tyrannie de ces sortes d’intendans est intolérable. Il n’est pas de vexation qu’ils ne fassent subir aux locataires qui leur déplaisent. Il y a des maisons dans lesquelles les nombreuses familles ne sont pas tolérées. Pour y être admis, on dissimule ses enfans ; on n’en avoue d’abord qu’un ou deux ; les autres sont gardés par quelque voisin complaisant. Au bout de cinq ou six jours, on en fait revenir un, puis un autre la semaine suivante ; mais quand le gérant constate qu’il y a plus de quatre enfans dans le logement, il donne congé. Le docteur Du Mesnil dit avoir trouvé, dans le cloaque qu’on nomme le clos Macquart, quelques intérieurs