Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/434

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

catholique) à don Amédée, son frère naturel (Archives de Turin) ; il avait espéré un moment trouver de l’appui auprès de lui pour faire valoir ses prétentions sur le Dauphiné ; mais il l’avait trouvé intraitable. Lesdiguières projetait de prendre l’offensive du côté de Chambéry, de Montmélian et du Mont-Cenis, mais il voulut avant toute chose s’assurer de Grenoble. Il recommença le siège de cette ville et entra en pourparlers avec quelques habitans qui lui promirent de lui livrer une des portes. Il se glissa en effet, le 24 novembre, dans le faubourg Saint-Laurent; mais d’Albigny l’empêcha d’aller plus loin ; l’hiver venu, celui-ci, désespérant d’être secouru, consentit à traiter. Le parlement, la ville et le gouverneur nommèrent des députés qui préparèrent, le 22 décembre, les articles d’une capitulation. Le vainqueur usa de la plus grande modération envers les habitans, envers le parlement et envers l’archevêque d’Embrun, bien que ce dernier fût un de ses ennemis déclarés et l’un des soutiens les plus ardens de la ligue. Les états, assemblés à Grenoble, reconnurent solennellement Henri IV comme roi de France; le parlement fit de même, bien qu’un mois avant il eût rendu un arrêt déclarant qu’il ne reconnaîtrait jamais qu’un roi catholique et voulant extirper l’hérésie.

Lesdiguières dépêcha au roi un de ses secrétaires, Saint-Julien, pour lui annoncer la soumission de Grenoble et lui en demander le gouvernement qui lui avait été promis. Le roi reçut l’envoyé à Saint-Denis dans son conseil; le surintendant des finances d’O s’étonna que Lesdiguières, n’étant pas catholique, osât demander un gouvernement de cette importance. Biron fit valoir les grands services rendus par Lesdiguières, et, comme le roi restait rêveur et muet, Saint-Julien dit : « Messieurs, vostre response inespérée m’a fait oublier un mot ; c’est que, puisque vous ne trouvez pas bon de donner à mon maître le gouvernement de Grenoble, vous avisiez aussi aux moyens de le luy oter. » Henri IV ne se fâcha point de tant de hardiesse et décida sur l’heure que la demande de Lesdiguières serait accordée.

Le comte Martinengo, général du duc de Savoie, rentra en Provence au printemps de 1591; Lesdiguières y fut appelé par La Valette; il attaqua l’ennemi, le 15 avril, à Esparron et remporta la victoire. Rappelé un moment en Dauphiné par l’entrée du duc de Nemours dans cette province, il revint encore en Provence et alla chercher l’armée qu’y amenait don Amédée, frère naturel du duc, et Olivarès, capitaine espagnol, qui ravageaient déjà toute la vallée du Grésivaudan, La bataille eut lieu près de Morestel à Poncharra. Lesdiguières infligea une défaite signalée aux troupes ducales, plus nombreuses pourtant que les siennes; il obtint cette brillante victoire à la vue de la maison de Bayard.