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seule appelée fatalement à recueillir les fruits des violences ou des faiblesses des partis, de cette désorganisation croissante dont la France, l’éternelle victime, finit par se lasser!

De tout ce qui se passe en Europe, aujourd’hui comme hier, de toutes ces affaires, de tous ces incidens qui se pressent et qui se croisent comme des nuages longtemps amassés de l’orient à l’occident, du nord au midi, que faut-il augurer ? Les affaires de l’Europe, à ce qu’il semble, ne sont point, elles non plus, faciles à débrouiller, même pour ceux qui en tiennent tous les fils dans leurs mains. De temps à autre, il est vrai, il s’échappe de cette situation troublée quelque parole généreuse à laquelle on serait tenté de se rattacher. «... S’il m’est donné de vivre, aurait écrit, dit-on, l’empereur Frédéric au prince régent de Bavière, je travaillerai à assurer la paix avant toute chose. C’est dans la paix seulement que des réformes vraiment utiles et durables sont possibles. » Rien de plus touchant et de plus sincère, sans doute, que cette parole. Malheureusement, c’est le vœu d’un prince occupé à se disputer lui-même à l’inexorable fatalité, peu sûr du lendemain. La paix générale, la paix du monde, est peut-être aussi malade que l’empereur qui se promet de la préserver, et, comme lui, elle a, dans tous les cas, autour d’elle, des médecins plus entendus à batailler sur le mal qu’à guérir le malade. Lord Salisbury, dans un récent banquet de la « Royal-Academy » de Londres, a parlé d’un ton assez sombre de la crise tragique qui se déroule à Berlin, et quelques paroles que le prince de Galles a prononcées à son tour sur son impérial beau-frère n’ont pas démenti les prévisions pessimistes du premier ministre de la reine Victoria. C’est bien certainement une crise des plus dramatiques, des plus graves, où tout se tient et s’enchaîne. L’empereur Frédéric, de qui dépend peut-être la tranquillité présente du monde, reste entre la vie et la mort, passant alternativement d’un état désespéré à une amélioration apparente et précaire. La situation de l’Europe reste ce qu’elle est depuis longtemps, toujours flottante entre la paix et la guerre, à la merci des incidens et de l’imprévu, d’une impatience diplomatique ou d’un mouvement militaire sur quelque frontière. C’est le régime de l’incertitude agitée dans tous les rapports, et comme si le mal réel ne suffisait pas, il faut encore y ajouter les imaginations, les inventions, les fantaisies souvent ridicules que la malignité oisive ou perfide fabrique à tout propos, que la crédulité propage. Le roman et le commérage envahissent les affaires du monde.

Depuis quelque temps, en effet, depuis quelques jours surtout, on dirait qu’il y a une sorte d’épidémie d’inventions équivoques, de faux bruits en Europe. Les moindres faits sont dénaturés et envenimés. Les actes les plus simples, les pensées, les intentions, tout est scruté et interprété ; tout devient prétexte à divagations. Ce qu’on ne sait pas,