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ceux qui n’ont rien de mieux à faire, ou par ceux qui se plaisent à entretenir un état perpétuel de défiance et d’Irritation dont ils pensent peut-être profiter.

Les bruits ne sont que des bruits sans doute, et les commentaires des journaux ne sont qu’un bruit de plus; ils ne sont pas toute la politique, ils ne décident pas des grandes affaires de l’Europe, de l’action des gouvernemens. Ils sont du moins le signe d’une situation où la politique générale est si profondément troublée, où la paix est si précaire, que tout semble possible, que les fables les plus extravagantes ne paraissent plus incroyables. La vérité est qu’aujourd’hui, même sans trop s’arrêter à toutes les histoires qui courent le monde, il y a partout assez de difficultés et d’incohérences, assez d’instabilité réelle dans les affaires extérieures et intérieures des peuples, pour qu’on craigne tout ce qui peut arriver, toutes les surprises. L’instabilité, elle est même au centre de la puissance, à Berlin, où la santé de l’empereur est un perpétuel objet de doute, où le chancelier, tenant tête à toutes les complications, s’efforce de regagner l’amitié du tsar. Elle est encore plus à Vienne, où les difficultés sont dans les affaires de diplomatie autant que dans les affaires intérieures de l’empire. D’un côté, les rapports de l’Autriche avec la Russie restent visiblement toujours assez tendus; d’un autre côté, le ministère du comte Taaffe n’est arrivé à obtenir le vote du budget qu’après des débats laborieux, passionnés, où il a rencontré des résistances croissantes, des oppositions de nationalités qu’il n’a pu réussir à vaincre qu’à l’aide de l’intervention personnelle de l’empereur. Maintenant, c’est le tour des délégations des deux parties de l’empire qui ont à délibérer sur les nouveaux armemens, sur les nouvelles dépenses militaires. L’Autriche, en dépit de tout, ne se sent pas dans une position facile entre son puissant allié d’Allemagne dont elle n’est pas bien sûre, et la Russie qu’elle a devant elle, qui garde une attitude de réserve énigmatique. L’instabilité, enfin, elle est surtout dans ces pays d’Orient, d’où peuvent venir les conflits, dans l’éternelle révolution bulgare, dans les agitations de la Macédoine, comme aussi à Belgrade et à Bucharest, où viennent de se succéder des crises de gouvernement qui ne sont point sans quelque rapport intime avec la situation générale du jour.

Quel est le vrai sens, quelle peut être l’influence de la crise qui a éclaté il y a quelques jours à Belgrade, et qui s’est dénouée par un changement de ministère? Ce ne serait peut-être pas facile à préciser. Le royaume de Serbie est un état où il y a une assemblée, la skouptchina, qui est censée représenter des garanties parlementaires, où il y a des ministères qui se succèdent, qui sont censés représenter des politiques différentes, et où tout se résume à peu près dans la volonté du souverain, le roi Milan, qui règne un peu en autocrate, mettant son bon plaisir et ses fantaisies dans le gouvernement de sa principauté.