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du protectorat austro-hongrois, rien ne sera probablement changé pour le moment.

Tout se tient dans ces états du Danube soumis aux mêmes influences générales, et peut-être cette dernière crise de Belgrade n’est-elle que la suite ou le contre-coup de la chute d’un autre ministère radical, du ministère de M. Bratiano à Bucharest, Le nouveau ministère roumain, qui s’est formé avec M. Rosetti, M. Carp, le prince Stirbey, M. Majoresco, ce ministère a reçu pour sa part, à vrai dire, un lourd héritage, l’héritage d’une situation profondément altérée par tous les abus et les démoralisations d’un règne de parti. A peine arrivé au pouvoir, il s’est trouvé en face d’un mouvement agraire qui a pris un instant les proportions les plus inquiétantes. Dans un certain nombre de districts, les paysans se sont soulevés, s’emparant des terres, menaçant les fermiers, exerçant des représailles et montrant parfois une fureur assez sauvage. Le gouvernement a été obligé d’employer la force, d’envoyer de toutes parts des troupes pour vaincre l’insurrection et rétablir la paix, pour rassurer aussi les populations effrayées et réduites à s’enfuir devant cette explosion meurtrière. Il n’a pas faibli, il a fait de son mieux pour tenir tête à l’orage ; il a réussi à rétablir sur les points les plus menacés l’ordre matériel, sans pouvoir se flatter toutefois d’être arrivé à une pacification sérieuse et complète. En réalité, ces désordres tiennent à tout un état social et moral, économique et politique. Que les paysans roumains, malgré ce qui a été fait en leur faveur, souffrent encore, et particulièrement depuis quelques années, de cruelles misères, qu’ils aient à se plaindre des conditions de la vie rurale, des fermiers, des usuriers qui les pressurent, qui sont le fléau des campagnes, c’est ce qui paraît peu contesté. Il est clair qu’il y a bien des réformes utiles, pratiques, bienfaisantes, patientes, à réaliser dans leur intérêt. C’est ce qui semble admis par tous les libéraux et les patriotes roumains; mais ce qui a surtout contribué à précipiter et à faciliter, à aggraver en même temps ces désordres, c’est qu’ils n’ont rencontré nulle part ni résistance ni vigilance dans une administration incapable ou complice. Pendant son long règne, le chef du dernier cabinet, M. Bratiano, semble ne s’être occupé que de remplir les localités de fonctionnaires qui pouvaient se permettre tous les abus, toutes les exactions, tous les excès d’arbitraire, à condition de faire des élections favorables au gouvernement. Au lieu de protéger les populations, il a augmenté et irrité leur misère.

Le résultat est cette insurrection qui a fait explosion, qu’il faut réprimer aujourd’hui. Il y a donc un double travail à accomplir : il y a une administration à refaire, à renouveler, et il y a des réformes à étudier, à poursuivre. C’est un assez large programme pour un gouvernement